En quelques mots, pouvez vous nous expliquer la relation que vous entretenez avec les Tanneurs depuis quelques années ?
J’ai fait l’ouverture du Théâtre Les Tanneurs, en 1999, après la rénovation du théâtre que Philippe Van Kessel avait créé et qui s’appelait l’Atelier St Anne. J’ai donc fait l’ouverture du théâtre, avec « La mécanique des femmes » d’après Louis Calaferte. Je me suis donc toujours senti un peu chez moi ici. Ce sentiment a été renforcé par la politique de résidence qu’avait instauré Geneviève. A l’époque, on utilisait le terme « compagnon ». Je suis donc devenu « compagnon » des Tanneurs pendant trois ans, de 2000 à 2003.
Durant ma direction, j’aimerais reprendre le terme de « résidence », parce que j’aime bien l’idée de la « maison » dans laquelle on habite. J’aimerais donner ou redonner du sens à cette notion de résidence. Que les artistes soient chez eux dans ce théâtre et qu’ils y invitent le public à les rencontrer. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai posé ma candidature à la direction des Tanneurs. Je défends l’idée qu’il faut que les artistes aient des responsabilités au sein même des théâtres. De nos jours, les institutions ont plutôt tendance à être dirigées par des administratifs. Je n’ai rien contre les administratifs en soit, mais il faut aussi que les artistes soient plus impliqués et plus présents dans les institutions.
Comment expliquer cet état de fait ?
C’est une question de fond : pourquoi n’y a-t-il plus de boulangers dans les boulangeries ? Il y a des vendeurs de pains, mais il n’y a plus de gens qui font le pain. C’est une question vaste et profonde. Je pense que c’est une angoisse relationnelle du monde politique vis à vis des artistes. Une vieille histoire entre le roi et le bouffon. Ce qui donne comme résultat qu’on créer le théâtre ailleurs que dans les théâtres. Pour ma part, les artistes ne demandent qu’une seule chose : rentrer dans les institutions. Cela me parait être une évidence.
Par rapport à la programmation de la saison 2006-2007, comment avez vous fait vos choix ? Et il y a une prise de risque dans votre programmation ?
Je fais mes choix en rencontrant les personnes. J’ai pour principe d’essayer de rencontrer et d’entendre tout le monde. Cela prend du temps, mais c’est nécessaire. En ce qui concerne la prise de risque, je crois qu’elle existe, mais ça s’appelle la création. Nous sommes un théâtre de création, et la création, c’est du risque. S’il n’y a pas de risque, ce n’est pas de la création, c’est de la fabrication. Longtemps, un peu partout, il y a un combat que les artistes ont perdus aujourd’hui : c’est celui de la programmation. La programmation se rapproche de plus en plus de ce que l’on fait dans les restaurants. Je pense aux recettes de cuisines. Dans le sens où il faut un peu de tous les ingrédients pour contenter le client, c’est une question que l’on ne peut pas poser comme ça quand on travaille sur de la création. Je ne demande pas aux artistes qui se produisent aux Tanneurs de réussir leurs spectacles, je leur demande de les tenter, ce qui n’est pas la même chose. Je pense aussi que c’est de l’honnêteté par rapport au public. Le public a besoin que des artistes leur parlent en leur nom propre, qu’ils parlent au « je » ou au « nous ». La fonction de l’artiste est de se poser les questions que tout le monde se pose. Pourquoi naît-on ? Pourquoi existe-t-on ? Pourquoi l’amour est si difficile ? Pourquoi la société est-elle si dure ? Pourquoi le monde est-il violent ? Pourquoi meure-t-on etc. etc. C’est pour cela que le théâtre est essentiel, tout comme l’est la danse. Parce que ce sont les questions que nous avons besoin de nous poser ensemble.
Comment mettez-vous en forme la sensibilisation des résidences auprès du public ?
La volonté que nous avons est de parler au public le plus clairement possible. Nous voulons nous inscrire dans une mécanique de dialogue avec les spectateurs. Le spectacle est une proposition, de ces propositions naissent des questions. Tous nos spectacles se complètent. On est dans une perspective de dynamique. Tous les éléments s’entremêlent, comme une pensée. Nous sommes sur une plateforme de rencontres, de dialogues et de croisements. Nous mettons tous les moyens en œuvre pour que les spectateurs rencontrent les artistes après le spectacle. Cela est pris en charge par un comité de spectateurs. Ce qui est montré ici est visible par tous, et cela, quelque soit le niveau social ou le niveau intellectuel. Il faut que le spectateur se débarrasse de la peur, de l’inconnu. Nous ne parlons pas à une personne en général, mais aux différents individus qui constituent les publics, les gens, la ville,...C’est un idéal. Mais ce n’est pas parce qu’il s’agit d’une utopie qu’il faut l’abandonner.
Pour en revenir aux résidences, souvent on définit les résidences comme un espace de création, offrant des moyens financiers, et techniques. Que proposez vous aux artistes concrètement ?
Nous connaissons trois types de résidences :
La première est la résidence artistique. Nous accueillons dans ce cadre Karine Ponties, chorégraphe sensible, drôle et exigeante ainsi que Zouzou Leyens, metteuse en scène de théâtre à l’univers très singulier. Je suis également en résidence aux Tanneurs en tant que metteur en scène. Ensuite, nous avons les résidences d’auteurs avec Laurence Vielle et Manuel Pereira. Et enfin les résidences administratives pour les compagnies. Cela permet aux différents résidents de créer des projets collectifs et temporaires. Nos bureaux sont partagés. On touche ici le projet central du théâtre. Les artistes sont présents. Ils travaillent ici, ils se croisent. Cela peut donner naissances soit à des créations, soit au simple fait de progresser, de réfléchir ensemble, de vivre et de travailler dans un projet commun. Ce que nous leurs offrons avant tout, c’est un cadre technique, professionnel et financier stable. Mais c’est aussi la tentative de « créer de la vie ».
Dans votre projet de quartier, quel type d’échanges envisagez-vous avec le Recyclart et les Brigittines ?
Patricia Balletti est chargée du projet de quartier. Elle a engagé ce travail de relation de quartier depuis quelques années maintenant et c’est une chose à laquelle je crois beaucoup. Non pas pour faire des Tanneurs un théâtre de quartier. Le théâtre des Tanneurs est un théâtre universel, mondial. Mais un théâtre est un espace qu’il ne faut pas dissocier de son environnement. Il faut le penser dans son contexte géographique. La vie de ce quartier doit avoir une influence sur la vie de notre théâtre. Nous voulons ouvrir aux Marolliens, non seulement les portes de la salle, mais aussi celles de la scène. Trois projets ont déjà vu le jour. Il s’agit du Bal des Marolles, des Martines et de la Valse de familles.
Quant aux relations avec les autres institutions, nous avons des collaborations sur certaines créations, sur des expositions, etc. Il y a également une reconnaissance réciproque et un encouragement à produire des choses nouvelles. Nous sommes dans le nouveau quartier des arts de Bruxelles. Nous échangeons également sur des choses plus souterraines comme le prêt de matériel. Ce n‘est pas négligeable car il faut que les choses circulent. Entre le triangle Brigittines – Recyclart – Tanneurs, il y a un pôle dynamique d’une vie artistique intense. Les Brigittines explorent le mouvement et la voix, le Recyclart est à la pointe en ce qui concerne les émergences musicales. Ils sont également fort impliqués dans les arts urbains et le développement social. Quant aux Tanneurs, nous interrogeons le théâtre sous toutes ses formes, tout en gardant une attention particulière à la danse contemporaine et à notre rôle dans le quartier.
Qu’en est-il de votre travail artistique personnel ?
C’est un gros problème. Je suis devant une incompréhension complète du monde politique, du pouvoir subsidiant. Le ministère a du mal à comprendre que j’ai besoin d’un soutien financier pour mon travail de metteur en scène, parce que le théâtre Les Tanneurs ne peut pas produire seul mes créations. Le ministère ne comprend toujours pas qu’il faut conventionner les compagnies pour qu’elles aient la responsabilité de la gestion de l’argent. Qu’elles aient l’argent… C’est une chose que je demande depuis six ans… Si je ne fais pas de mise en scène dans ce théâtre, ça n’a aucun sens d’en être le directeur, je dois continuer à faire mon travail de metteur en scène.
Mais ça montre à quel point la politique de soutien aux artistes de la communauté française n’est pas bonne. Le problème ne se situe pas au niveau des moyens, parce que des moyens il y en a, mais dans la mauvaise répartition de ces moyens. L’argent est investi dans les très grosses institutions, parce que le politique pense la culture en terme de territoire, en terme de prise de territoire et de défense de ce territoire. La culture est pour eux un terrain à prendre, à rentabiliser, à utiliser, pas un territoire d’action. Du côté de la communauté flamande, cela fait plus de 15 ans que le politique a misé sur les responsabilités et l’investissement réel des artistes. Le résultat est clair : les artistes flamands tournent dans le monde entier. Et certains veulent nous faire croire que c’est une question de talents...
Propos recueillis par Virginia Petranto et Jeanne Boute