Tout de blanc vêtu, Adrien Lepage souligne le rôle déterminant joué dans sa vie par les "tacatas" et les "toudoudoums". Il s’est mis à faire des bruits avec sa bouche et à tapoter sur tout ce qui lui tombait sous la main : les tables, les chaises, son petit frère. Une sarabande de noires, de blanches, de croches, de doubles croches... Sa passion pour les rythmes est stimulée par la découverte d’un trésor. Deux malles, héritées miraculeusement de sa grand-mère, contiennent un gramophone et une pile de disques enregistrés par les plus grands jazzmen. Dans sa chambre, il accompagne Miles Davis et Louis Armstrong, en tapant sur des barils de lessive. A l’école, c’est la cata. Adrien est enfermé dans son monde. Mauvaises notes et redoublements lui passent au-dessus de la tête. Pourquoi ne lui permet-on pas de rapper sur le théorème de Pythagore ou sur "Le Corbeau et le renard" ? En lui promettant une batterie, ses parents provoquent un électrochoc. Adrien obtient des résultats mirobolants. Mais l’instrument rêvé se fait désespérément attendre. Ses condisciples se moquent de sa crédulité... Finalement il reçoit une batterie d’occasion. Malgré les taches de rouille et les éléments défectueux, il l’adore et la baptise :"Tikétoum".
Incompris par un père, qui le considère comme "une tafiole", Adrien se refuse à l’appeler papa. Ce Bernard est un homme fruste, qui bat sa femme et gifle régulièrement son fils : "Tu l’auras pas volée celle-là !". Une brutalité qui aura des conséquences dramatiques. Cet ado fragile et différent s’interroge naïvement sur le comportement des autres élèves. Pourquoi ne parlent-ils que de football et de langue dans la bouche des filles ? Eblouie par son talent et sa ferveur, son amie Cécile l’encourage à former un groupe. Comme il doute de ses capacités, elle insiste : "Je crois surtout que tu ne pourrais rien faire d’autre." Première expérience décevante. Ses copains musiciens profitent de sa complaisance et pensent plus à se shooter qu’à répéter efficacement.
Les déboires de cet ado vulnérable, malmené auraient pu faire plonger "Une Vie sur mesure" dans le mélo. Cédric Chapuis évite ce piège, en truffant son récit drôle, nerveux de séquences musicales jubilatoires. Par un humour subtil, il rend son héros fort attachant. Lorsqu’Adrien constate que "d’année en année, les élèves de sa classe rajeunissent" ou qu’il corrige un condisciple malveillant : "Pas autiste, ARTISTE !", il nous fait rire de sa candeur désarmante. Mais quand il nous guide dans son univers, il réussit à nous communiquer ses émotions. Faisant corps avec sa batterie, il nous pousse à écouter ce "coeur qui bat" dans des marches militaires, des danses de carnaval, des bossas-novas, des morceaux de jazz, de rock, de métal. Il prend plaisir à valoriser le rôle des notes fantômes. C’est un prof captivant, à l’instar de Jean-François Zygel dans l’émission télévisée "La Boîte à musique". Certes, il cajole Toukétim et il rêve d’une batterie électronique. Mais ce sont les rythmes et les sons qui le font planer... On n’a pas besoin de l’instrument pour s’exercer à la batterie.
Les applaudissements nourris qui saluent la performance de Pierre Martin sont pleinement justifiés. Aussi à l’aise dans la peau d’un jeune homme coupé des autres que dans celle d’un batteur émérite, il se donne à fond et insuffle au spectacle un rythme endiablé. Discrète au début, la mise en scène fluide de Stéphane Batlle donne de plus en plus d’envergure à la musique triomphante, avec comme point d’orgue l’explosion d’images et de sons dans "Metallica". Une illustration de la force irrésistible de la passion.
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