Si ces deux noms sont connus du plus grand nombre, leur vie l’est généralement moins, voire pas du tout. C’est pourquoi, au côté d’une trentaine de personnes rassemblées dans une petite pièce attenante à la salle de concert, j’ai eu l’occasion d’entendre l’introduction réalisée par le musicologue Charles-Henry Boland. Par un discours éloquent, celui-ci a replacé la création des œuvres du programme dans leur contexte historique en tentant de répondre à deux questions : qu’est-ce qui a poussé les deux compositeurs à écrire ces œuvres ? En quoi leur approche se distingue-t-elle ? Les réponses sont largement différentes selon le compositeur. Pour Schumann, la musique exprime sa détresse psychologique et la pratique de la composition constitue une thérapie en soi. Verdi, quant à lui, voit en la musique un médium permettant de transmettre un message nationaliste au peuple lombard alors sous domination autrichienne. Ces deux visions se voient pourtant exprimées dans une même esthétique romantique. Ces informations en tête, le programme du concert prendrait désormais une dimension tout autre...
Et quel programme ! On commença avec Verdi et l’ouverture de son opéra Luisa Miller. Dès les premières notes de violon, le suspens dramatique se fit sentir. Quelques accords tendus soulignés par les cymbales précédèrent un passage plus calme où la clarinette joua une mélodie lumineuse. Cependant les éclaircies étant de courte durée, après un passage plus gai et dansant, le rythme s’agita et le chef aussi, démonstratif dans la gestuelle mais toujours précis. Cette première pièce s’acheva sur un accord répété et martelé par la centaine de musiciens de l’Orchestra dell’Accademia Nazionale di Santa Cecilia. L’expérience sonore valait le détour...
Après l’expressivité italienne, l’heure était à l’intériorité avec le Concerto pour piano et orchestre de Schumann. L’arrivée sur scène du soliste a marqué les esprits. C’est, en effet, un jeune homme de 17 ans qui fit son apparition. Mais les premiers accords joués, l’enfant céda la place à l’interprète. Quelle maturité...! Après deux premiers mouvements plutôt tranquilles pour le pianiste, l’Allegro Vivace allait permettre à ce dernier d’exposer sa technique. Le jeu de Jan Lisiecki fut remarquable : doux dans les passages intérieurs et incisif dans les moments d’eaux troubles, mais toujours avec une précision chirurgicale. Ovationné, le pianiste canado-polonais remercia son public en ses termes : « Bonsoir ! Merci beaucoup ! ...Un peu de Chopin ! » Réalisée tout en douceur et en régularité rythmique, sans trop d’emphase ni d’emportement, la fameuse Valse n°7 fit place à un court silence. Un instant magique venu sublimé la musique...
Après l’entracte, les discussions passionnées du bar ont fait place à la suite du programme consacrée à la Symphonie n°2 de Schumann. Fort contrapuntique, le discours musical y semble plus articulé par les variations dynamiques et les contrastes de textures que par un développement thématique. L’œuvre nous entraine dans une épopée de quatre mouvements, une véritable lutte intérieure qui verra la mort vaincue par la vie dans un final retentissant rappelant celui de la première pièce du programme. Littéralement conquis, le public en voulut plus. Et Pappano, non sans un certain enthousiasme fit jouer par son orchestre deux extraits du Guillaume Tell de Rossini entrecoupés par le poignant « Nimrod » des Variations Enigma du compositeur anglais Elgar.
C’est sur ces notes aussi gaies que majestueuses que s’est achevé en beauté ce marathon musical. Dieu sait que je n’ai pas tari d’éloge à l’égard de l’événement. Et pour cause, celui-ci est désormais pour moi synonyme de phénomène incontournable. Si ce n’est pas chose faite, je vous invite à l’expérimenter dès la prochaine édition. Vous verrez, vous ne serez pas déçu...