Ses "porte-voix" saluent le public, alors que Delphine, avec un petit sourire, nous montre l’ardoise, où elle a écrit : "Bonsoir". En racontant sa traversée du désert, Pierre Sartenaer, Isabelle Dumont et Raymond Delepierre (créateur sonore) vont mettre en valeur le rôle capital et la beauté fragile de la voix. En 2003, on opère Delphine d’un kyste situé dans le pli vocal gauche. En vain. Aucun médecin n’arrive à expliquer pourquoi sa voix continue à se dégrader. Une énigme qui incite Isabelle Dumont à nous révéler la complexité de l’appareil phonatoire. Démonstrations gestuelles, confrontation du larynx de différents chanteurs, matérialisation d’une onde sonore. Avec passion, elle nous explique comment l’Homo vocalis a transformé le souffle en sons et pourquoi nous avons du mal à reconnaître notre propre voix, alors que son timbre est unique. Comme nos empreintes digitales. En contrepoint de cette mini-conférence, Delphine Salkin nous sensibilise à l’impact des enregistrements. Nostalgiques, comme ces échos de fête familiale ou éprouvant comme ce "Joyeux anniversaire" péniblement chantonné.
Elle se bat avec acharnement pour sortir de ce drame. Excédés, ses comparses énumèrent les multiples rendez-vous avec une ribambelle de médecins, qui débouchent sur des diagnostics décourageants. En faisant grimacer leur voix, ils prennent plaisir à tourner en dérision les conseils de certains "spécialistes". Lu par Pierre Sartenaer, le Journal de Delphine reflète la frustration d’une femme marginalisée, incapable de soutenir une conversation et la détresse d’une comédienne, privée de tout travail rémunéré.
Sur scène, elle n’incarne pas un personnage, mais représente le sujet du spectacle. Son mutisme lui pèse. On la voit doubler la gestuelle d’une actrice de film muet. Tout à coup, elle se saisit d’un micro et se déchaîne dans un play-back rageur de Janis Joplin. Paradoxalement, cette épreuve lui fait aussi découvrir la vertu du silence. En 2008, elle subit l’opération de la dernière chance. Huit jours sans parler, pour permettre la cicatrisation. Accueillie avec bienveillance dans une abbaye, elle retrouve la sérénité.
En mêlant illustrations scientifiques, archives familiales, vidéos, créations sonores, extraits de protocoles médicaux, Delphine Salkin et son équipe font vivre une oeuvre hybride et pertinente. Même si on aurait pu se passer d’anecdotes comme l’invention du "phonautographe" ( un appareil qui représente les sons sur papier, sans permettre de les écouter), la partie documentaire est attrayante. Elle nous fait comprendre que la voix "qui s’enracine dans le corps et s’en échappe", est notre visage sonore. "Intérieur voix" souligne aussi l’importance du rôle inconscient qu’elle joue dans nos vies. Pour éviter le piège de la complaisance ou de l’apitoiement, Delphine Salkin n’a pas voulu raconter l’histoire de sa voix perdue et laborieusement retrouvée, en solo. Soutenue par des complices chaleureux, elle a distillé son témoignage dans un spectacle tonique. Un bel hommage à la voix.