L’artiste doit être le témoin de son époque… Ça c’est bien vrai ! Du 10 avril au 17 mai on retrouvera Toni d’Antonio avec un immense plaisir au TTO dans Qui est le Véritable Inspecteur Dupif ? En attendant, il parle aussi mafias Carolo, affaire Dutroux, écologie et politique… Oui oui rien qu’ça !!!
Qui est Toni d’Antonio ?
Je suis originaire d’Italie, plus particulièrement des Abruzzes, le village de John Fante que j’aime beaucoup (NDLR : l’auteur du célèbre et très bon “Demande à la poussière” !) J’ai grandi à Charleroi. Je suis arrivé au Conservatoire Royal de Bruxelles vierge du théâtre. Je n’avais pas été à l’Académie et l’unique spectacle que j’ai vu, à l’âge de 13 ans, était de Michel Leeb ! Michel de Warzée, qui était mon professeur, m’a avoué, à ma sortie, qu’il choisissait toujours d’accepter un élève qui n’avait rien à voir avec le théâtre. Et cette année-là, c’était moi !
Je me souviens que pendant mes études au Conservatoire, je travaillais comme barman au Théâtre National. Une majorité de jeunes camarades de classe sortaient à l’entracte en démolissant le spectacle. Les jeunes comédiens ont tendance à casser mais sans reconstruire pour autant. Ils sont des critiques très durs mais ont-ils les moyens de l’être ? Je crois que quand on débute il s’agit d’ouvrir grand les yeux et les oreilles sur ce microcosme qu’est le théâtre.
De fait, pendant quelque temps, je suis redevenu maçon parce que j’éprouvais le besoin de me déconnecter. L’été passé, je suis devenu magasinier uniquement pour décanter ce que j’avais appris et pour observer autre chose que les maladies ou les qualités du théâtre. Un comédien pourrait être sclérosé parce qu’il baigne sans arrêt dans son milieu - même si c’est un milieu extraordinaire- . Trop de patates tuent la patate ! Pour parler du monde, il faut pouvoir en sortir.
Du 10 avril au 17 mai, nous pourrons te retrouver au Théâtre de la Toison d’Or dans "Qui est le Véritable Inspecteur Dupif ?" de Tom Stoppard. La mise en scène est assurée par Olivier Massart et Alexis Goslain. De quoi parle le spectacle et quel est ton rôle ?
C’est un très chouette texte anglo-saxon écrit en 1963 ; un genre d’Agatha Christie absurde. Nous le redécouvrons à chaque répétition. Il y a dans cette pièce un certain humour politique : Tom Stoppard avait une tendance gaucho. Il y a, notamment, deux critiques de journaux qui symbolisent leur époque. Je joue le Critique Numéro 1 qui est Gros Sabot ; un personnage condescendant.
Tu jouais tout dernièrement le rôle de “Toni” dans “Beautiful Thing” de Jonathan Harvey - mise en scène de Georges Lini - au Théâtre de Poche. Tes rôles sont souvent empreints d’humour, non ?
“Beautiful Thing” et “Qui est le Véritable Inspecteur Dupif ?” sont deux pièces d’auteurs anglais, mais qui n’en demeurent pas moins fort différentes. Le sujet de “Beautiful Thing”, même si il est traité avec humour, n’a rien de léger. “Qui est le Véritable Inspecteur Dupif ?” est un divertissement intelligent.
On me dit souvent que j’ai un capital-sympathie assez élevé. En général, c’est vrai que mes personnages sont assez grotesques, absurdes, décalés ou encore naïfs. Mon image doit inspirer cela.
Quels sont tes futurs projets ?
En juin, je serai avec Flore Vanhulst et Leslie Mannès au Théâtre de La Balsamine [1] dans un projet sur le thème d’ “Alice au Pays des Merveilles”. Jasmina Douieb assurera la mise en scène. C’est un spectacle musical et corporel. Il n’y aura que 2 représentations, les 20 et 21 juin à 19:30. Après je pars en vacances et ensuite, pour la saisoin 2008-2009, je jouerai au Théâtre Royal des Galeries “L’Assassin habite au 21” [2] avec notamment Alexandre Von Sivers, Fabrizio Rongione, Freddy Sicx et d’autres très belles personnes.
Au début de la saison prochaine nous reprendrons également “Le Jeu de l’Amour et du Hasard” de Marivaux mis en scène par Dominique Serron dans laquelle je partageais le rôle d’Arlequin avec Fabrizio Rongione. Nous avons joué 150 fois cette pièce donc 75 fois chacun.
Je me souviens avoir beaucoup aimé ce spectacle…
Dominique Serron est une metteur en scène exigeant. Elle sait pertinemment ce qu’elle veut et ce qu’elle ne veut pas. Ce qu’elle fait, elle le fait très très bien, de tout son cœur et de tout son esprit. Donc, elle mériterait de recevoir d’avantage de subsides et d’avoir son propre théâtre. Mais le problème est qu’elle ne revendique pas de couleur politique, exactement comme Georges Lini. Je trouve que c’est aberrant parce que leurs travaux sont reconnus unanimement par la presse et le public. Tous deux n’ont que leur intégrité et leur passion. Une légende urbaine raconte que c’est un ange anonyme qui aurait permis au ZUT de ne pas mourir. Grâce à ce mécène, nous avons eu le bonheur de voir des pièces telles que “Incendies”.
Pourquoi, à ton avis, l’Art et la Politique sont-ils si intrinsèquement liés ?
Je ne m’occupe pas de tout ça car je ne suis pas metteur en scène mais comédien. Mais c’est évident qu’il est difficile de faire quelque chose sans argent. Et ce n’est pas en manifestant devant l’une ou l’autre administration qu’on va changer les choses. Peut-être faudrait-il monter des pièces qui en parlent plus ? J’aimerais adapter au théâtre “Le Pendule de Foucault” d’Umberto Ecco.
Tu as travaillé au Poche, au ZUT, à l’Infini Théâtre, au National, au Rideau, au Public… Selon ton expérience, que manque-t-il au Théâtre belge ?
À Bruxelles, le théâtre est très présent et diversifié ; ce qui me semble une bonne chose. J’aimerais que les directeurs de théâtre, voire même quelquefois des artistes, n’aient pas besoin d’appartenir à un cercle, une confrérie ni d’avoir une carte politique pour pratiquer un art si pur.
Le théâtre devrait également davantage traiter de sujets d’actualité qui nous concernent ; tels que l’affaire Dutroux ou encore les mafias de Charleroi. Cela me touche parce que, selon moi, l’opinion publique est manipulée sur certaines affaires.
Aujourd’hui on fait des guerres à coup de mensonges. Ça me rend fou tout ça ! Il faut être témoin de son époque. Il y a plus de quatre milliards de personnes qui vivent avec moins d’un dollar par jour, pendant que nous, nous gaspillons sans cesse.
Nos dirigeants ne parlent pas assez d’écologie. L’art doit s’en charger. Aujourd’hui, Coluche nous ferait un grand bien. Nous les artistes, grâce à notre fonction, pouvons avoir des propos plus fort que d’autres personnes.
Tu travailles également au Cinéma : “Pas si grave” de B. Rappe ou encore “La Révolte du porte-manteau” de V.Monnet. Ce dernier est tourné en Belgique. Est-ce un travail différent du théâtre ? Que penses-tu du cinéma belge ?
Je n’ai, au cinéma, que de petits rôles. En général, j’interprète des personnages drôles ou mafieux. Je pense que le cinéma est un luxe pour le comédien parce qu’il gagne beaucoup d’argent ; il est dans un confort absolu. Sur un tournage, tout le monde exauce ses moindres désirs. Je trouve également que le travail est beaucoup moins important qu’au théâtre. Il y a rarement des répétitions, alors qu’au théâtre, il faut travailler tous les jours. De même, au cinéma, le réalisateur fait confiance à quelque chose d’éphémère tandis qu’au théâtre, tout est calculé au millimètre !
Je pense que le cinéma belge a plus qu’il n’en faut pour faire du très très bon ! Nous avons d’excellents comédiens, réalisateurs,... Mais, tout comme au théâtre, le problème est identique : c’est l’argent ! Les productions vont davantage faire confiance aux comédiens français car ils sont plus susceptibles de faire vendre le film que les comédiens belges.
Aimerais-tu mettre en scène ?
Oui, mais je reporte ça après 40 ans ! À mon sens, la mise en scène nécessite de l’expérience et de la maturité. Je crois qu’il faut avoir observé beaucoup de choses !
Merci Toni, et à très bientôt au TTO.
Propos recueillis par France Pinson le 1er avril 2008