Jeudi 19 octobre 2017, par Isabelle Plumhans

Théâtre en marches

Un jour j’ai étudié le théâtre. En corps et en mots. Dans les deux cas, on a abordé cette notion essentielle de spect’acteur. De former le spectateur à réagir concrètement à ce qu’il recevait. D’être un théâtre agissant pour qu’à son tour le spectateur pose des actes. J’avais trouvé cette notion juste, forte et belle. Mais ça restait tout de même conceptuel… Aujourd’hui, des mises en scène innovantes proposent de réellement mettre en marche leur spectateur. Sortant des salles. Au propre, on voyage en rue. Au « figuré », on s’engage de citoyenne façon.

C’était il y a quelques années à Avignon…tu sais, mon péché mignon… Un spectacle proposé par la compagnie Victor B à la Manufacture, ce lieu mi-belge (le président du comité directeur du lieu, Pascal Keiser, vient du plat Pays), mi-français (l’essentiel de sa programmation est aujourd’hui bleu-blanc-rouge). Walking Thérapie ça s’appelait –d’ailleurs, ça s’appelle encore comme ça, le spectacle tourne toujours, dans une version retravaillée qui sera présentée l’an prochain dans au National. Au cours de ce spectacle d’un format particulier, on suit deux hommes en recherche de bien-être, de bonheur, de sens de vie. Et quand je dis on suit, c’est pour de vrai. Casque sur les oreilles, on emboite le pas des deux personnages dans les rues de la ville, Avignon à l’époque, Spa cet été pour moi. Et cet été, même que j’y ai emmené mes parents. Au cours de cette pièce, on marche donc, et le spectacle est cheminement physique autant que psychique. A Spa, cet été, il pleuvait. Mes parents à moi, ils sont frileux. Au propre comme au figuré. Le théâtre en rue, c’est pas leur truc, a priori. Pourtant, je ne me rappelle pas avoir vu mon paternel se fendre la poire aussi franchement au cours d’un spectacle de théâtre. Parce que bien mené, le spectacle déambulatoire emporte bel et bien, fait vivre des choses par le corps, différemment (et pour le coup, mes parents, marcher, ça les aide à vivre, ils font ça tous les dimanches, c’est leur « walking thérapie » à eux).
Des spectacles qui transportent, au propre, j’en ai encore vécu par après. Avec le MAPping Brussels, des artistes du KVS, qui proposait de revisiter la ville avec les yeux et les pieds des artistes habitants du quartier. Projet d’envergure, la pièce avait la volonté de remettre l’humain théâtral, de l’art concret et humanisé dans un quartier et une ville pas toujours facile. De la donner à voir différemment.
Au Kaaitheater, en ces mois d’octobre et novembre, c’est Benjamin Vandewalle qui propose avec Walking the Line une déambulation d’un genre particulier. Le pitch : des spectateurs-danseurs, un rendez-vous place Sainte Catherine au centre de Bruxelles, un comité d’accueil sympathique, des lunettes visières et une petite leçon de deux pas de base à réaliser à la demande du chorégraphe. Prononçant Caterpilar, nous formons une chaîne humaine chacun mettant les mains sur les épaules du voisin de devant. Son Egyptian quant à lui fait nous tenir par les mains, en farandole, et marcher parallèlement aux murs. Nous nous élançons ainsi dans la ville, prêt à changer nos positions à son ordre… et dans la plus parfaite confiance : tous nous fermons les yeux. A le demande du metteur en scène, nous les ouvrirons plusieurs fois sur le chemin. Et découvrirons un visage de la ville différent de l’habituel quotidien citadin qui ne nous étonne plus. C’est pourtant mon quartier, et je l’ai découvert d’une toute nouvelle façon. Cette balade, parce qu’elle me mobilise le corps (il s’en souviendra le lendemain et le jour suivant) s’inscrit différemment en moi, est une expérience inédite et mobilisante, au propre comme au figuré. La violence autant que la richesse de mon coin se sont révélés différemment. Tête alertée, corps mobilisé, ce que j’ai vécu là était réellement inédit. J’ai compris dans mon être ce qu’était être spect’acteur. Sans doute me faudra-t-il encore un peu de temps pour bouger vraiment, et agir en vrai sur ma ville et ses habitants Mais mon corps a compris qu’il devait, bien plus que ma tête et mes sens, se mettre en mouvement. La vie, la ville, changent. Le théâtre accompagne ce mouvement, et c’est heureux. Parce que le spectacle ne doit pas se résumer à nos salles obscures, parce que son message doit aller plus loin.
Le théâtre émeut, faisons que le théâtre ‘meuve » aussi, les esprits et les corps.
C’est d’ailleurs, un large pas plus loin, ce qu’il est en train de faire. Nous sommes nombreux à avoir été émus par l’appel lancé aux prix de la critique par la comédienne Marie-Aurore D’Awans qui a livré un témoignage sur la condition des migrants en Belgique et le travail des associations sur le terrain. A la suite de cet appel, des artistes se sont mobilisés, créant deux euros cinquante, un compte Triodos qui accueille les dons afin de nourrir les migrants, une équipe de volontés et d’humanités qui se mobilisent pour changer concrètement le quotidien de ces personnes. Enfin, le secteur culturel s’est également mobilisé dans son ensemble afin de créer United Stages, un label sous lequel « les acteurs culturels signataires de la charte ont lancé une récolte de fonds à destination d’associations humanitaires œuvrant, en Belgique ou ailleurs, en faveur des populations civiles touchées par les violences dans des zones de conflit. » comme l’indique son communiqué de presse.
Ce sont des petits pas, mais qui montrent que le secteur culturel, que le théâtre est en marche pour, concrètement, dans les corps et les faits, faire bouger notre monde. Qui en a terriblement besoin. Alors, tous, disons oui au théâtre action, et soyons passionnément, urgemment, des spect’acteurs. Au propre comme au figuré !

Walking Thérapie, de la compagnie Victor B, du 22 mai au 03 juin, Théâtre National, www.theatrenational.be

MAPping Brussels, KVS, www.kvs.be

Walking The Line, Benjamin Vandewalle, le 29/11, Kaaitheater, www.kaaitheater.be

Deux euros cinquante : infos sur la page facebook Deux euros cinquante et compte Triodos : BE91 5230 8091 7576

United Stages : Le 140, La Bellone, Le Boson, Midis de la poésie, Théâtre la Balsamine, Théâtre Varia, Théâtre de l’Ancre, Action Sud CCR, Association des Centres Culturels, réseau des Arts à Bruxelles / Brussels Kunstenoverleg, Globe Aroman Théâtre Océan Nord, Choux de Bruxelles, Kaaitheater, Met-x Movingmusic, La Vénerie : Centre culturel de Watermael-Boitsfort, La Tentation, Passa Porta.