Roleplaying. Elle fait comme si elle rejouait à la poupée. Cela lui permet de prendre enfin les commandes de sa vie, en sculptant ses fantasmes sur une victime consentante. Pour combler l’absence, elle choisit un nouveau père, partenaire de chaque soir. Le dernier en date ? Un pur marollien se prête au jeu. Louis a 78 ans, plein de mansuétude. Il est impeccablement habillé et véhicule un sourire … de bouddha. Lèvres serrées porteuses d’un éternel sourire, regard amusé, il se laisse aller au jeu de la belle avec une sorte de bienveillance de bon papa ! Réussira-t-il à la reconstruire ? Et pour ce père partenaire d’un soir, que d’émotions, de se retrouver, après avoir parcouru la partition l’après-midi et à peine répété, devant un public. D’un côté comme de l’autre des feux de la rampe, personne ne sait ce qui l’attend. Et la belle de se calibrer en justesse de ton, à chaque aventure.
In charge ! Elle dirige les mises en scène avec une douce fermeté, ses gestes ont la précision de ceux d’une infirmière. Ses images paternelles, elle les veut vivantes pour mieux les … mon enfant ! Elle parcourt invariablement les différents stades de son scénario. Elle se risque à les approcher pour ressentir la chaleur oubliée, perdue. La chaleur tout court. Le bonheur. Le dernier stade, c’est la Rédemption. Arrivée au village de l’enfance révolue près de Valenciennes, elle ira jusque devant la porte close, mais tirera-t-elle la sonnette ? Osera-elle cette confrontation longuement fantasmée avec A comme Absent ou Ailleurs, A comme … ? Ou recommencera-t-elle inlassablement chaque soir et en boucle à gravir les étapes des impossibles retrouvailles ? Peut-être, qu’à force, l’expérience renouvelée chaque soir la rendra capable de se réconcilier avec elle-même d’abord, d’envisager de faire enfin son deuil et ne plus se laisser tenailler par le manque cruel ?
La méthode de mise en scène se fonde sur un éventail de techniques très heureuses. A travers la danse, les changements de costume, les bulles de rire, les fragments de journal intime, le voyage, la comédienne dissèque sa douleur et tisse une belle connivence avec le public. Les pensées de la jeune femme s’impriment silencieusement en temps réel sur un écran. On est dans ses doigts, avide de deviner le mot qui va se profiler sur l’écran. Il y a ce brillant extrait de visite guidée de l’expo de maître Cranach à Bozar (2010) qui s’arrête sur le « Martyrdom of Saint Barbara, ca. 1510, Lucas Cranach the Elder », qui dépeint les souffrances de Sainte Barbe, martyrisée par un père jaloux. Un prénom, on l’avouera, beaucoup plus joli en version anglaise, ou …en chanson française ! Toutes deux, la sainte et Elle, Barbara, partagent le mal du père… plus que celui de de la mer ! Il y a aussi ces jeux avec le rétroprojecteur… au propre et au figuré ! Les crépitements de l’incendie de la maison natale… que l’on est impuissant à éteindre. Tandis que les ravages de l’incendie se fondent avec l’œuvre de l’artiste du 16e siècle, l’écho poétique de la voix de la comédienne brûle en volutes qui ensorcellent l’âme du spectateur. Il aura reçu en partage intime, l’authentique autobiographie de Barbara Sylvain.