Steve, on te retrouve cette saison dans la reprise de " L’exemple du Dr Korczak " de David Greig au théâtre du rideau.
Tu as déjà participé à ce projet la saison dernière, s’agit-il d’une pièce qui te tient particulièrement à cœur ?
OUI ! Cette pièce est pour moi un cadeau exceptionnel de la part de Jules-Henri Marchant ; pour un comédien c’est une réelle chance d’interpréter le rôle d’Adzio. Ce qui est super dans ce métier se sont les rencontres que l’on peut y faire, celle-ci a été pour moi particulièrement riche. Cette pièce relate la vie d’un homme qu’on ne connaît pas et qui est pourtant si riche d’enseignement ! Cet homme a existé, cette histoire s’est réellement passé . Il est indispensable de le faire connaître, particulièrement aux écoles puisqu’il s’est énormément battu pour les droits de l’enfant, dont il fut l’un des initiateurs. C’est d’ailleurs avec plaisir et engouement que je présente l’exposition "Janusz Korczak : le droit de l’enfant au respect" aux enfants qui viennent voir la pièce. Il est important de leur expliquer et de leur faire découvrir l’œuvre de cet homme et la place qu’il a donné à l’enfant.
Cette pièce plus que les autres donne envie de laisser une trace dans l’esprit des spectateurs.
Pour ceux qui ne connaissent pas la pièce, comment la présenterais-tu en quelques lignes ?
Cette pièce raconte la confrontation entre un docteur et ses idéologies (Korczak) et un orphelin (Adzio). Adzio, enfant de la rue, découvre grâce au docteur la possibilité d’être considéré comme un humain. La pièce se déroule dans un orphelinat, au cœur du ghetto de Varsovie en 1942. Les spectateurs ont souvent peur du thème abordé, alors que justement cette pièce ne parle pas des camps de concentration mais bien de l’histoire de deux êtres humains avec, en toile de fond, le drame de l’époque.
C’est de l’Humain dont on parle . Le personnage de Korczak le démontre bien quand il s’adresse à un soldat allemand en s’intéressant à l’homme qui se cache derrière le soldat qui tue. Il veut savoir, comprendre et toujours respecter l’autre. Il s’agit d’une réelle interrogation sur les hommes. C’est une pièce particulièrement touchante. Il faut la voir, parce qu’on y rencontre quelqu’ un .
Qui est Adzio ?
Adzio est un "Ket" (gamin des rues). Il passe en-dessous des murs pour voler sa nourriture, il vole pour pouvoir survivre. C’est un petit voyou qui dans l’orphelinat découvre un univers de respect ; il est lui aussi un enfant qui a des droits (se laver, se nourrir, se vêtir) malgré le contexte dramatique.
C’est un révolté, qui veut combattre les allemands. Contrairement à Korczak, qui lui ne veut pas faire de vagues et dit lutter par sa tolérance, Adzio ne veut pas rester passif face à ce qu’on lui impose. Il vient de la rue et sait ce qu’il va arriver, il veut se battre même si les chances sont minces. Adzio accepte une seule fois de rentrer dans la logique de tolérance de Korczak en faisant confiance à un prêtre catholique. Seule petite demande à cet homme d’église : accueillir les enfants de l’orphelinat dans son jardin pour les emmener loin de leur misère. Le prêtre par peur de l’oppression allemande refuse... c’est un drame ! Adzio ne croit plus et se révolte !
Enfin, Adzio est un garçon indépendant mais qui malgré tout a besoin d’amour et de paternité. Il ne connaît pas l’affection mais en à besoin et quand enfin elle arrive, grâce au docteur Korczak, il est effrayé. C’est un réel conflit intérieur qu’il vit par rapport au docteur.
Tu as depuis tes débuts dans le théâtre joué de nombreux personnages. Est-ce qu’à force d’expérience tu abordes plus facilement les rôles qui s’offrent à toi ?
C’est un métier où tu apprends tout le temps. L’expérience aide pour l’approche des personnages. Tu apprends au fur et à mesure des rôles l’écoute de tes partenaires, comment aborder aussi bien le texte que le travail à faire pour aboutir le mieux possible au personnage. Même chose concernant le plateau, tu t’y lances avec plus de "sécurité". Plus tu y joues, moins tu as peur.
Cependant concernant le travail à fournir, il reste toujours aussi intense. Il demande à chaque fois une nouvelle recherche... et c’est là selon moi tout le plaisir pour un comédien.
Pour le personnage d’Adzio par exemple, j’ai voulu pour la première fois aborder un personnage de manière réellement physique.
La plupart de mes personnages exigeait un travail vertical, c’est-à-dire un travail de maintien, de tenue. Là, tout au contraire j’ai dû casser cette image. Il s’agit d’un travail horizontal. Adzio rampe, évolue très près du sol avec agilité et souplesse. Il n’a justement pas ce maintien.
Outre l’IAD où tu as été diplômé en 1996, tu as également suivi plusieurs formations complémentaires (chant, danse, escrime, masque).
Correspondaient-elles à une envie personnelle ou aux besoins d’un rôle ?
Ces formations ne correspondaient à aucune demande précise, c’était simplement une envie personnelle de rester dans une logique de recherche, de découverte et d’apprentissage. Je pense qu’il faut autant que possible rester actif, continuer à découvrir, aussi bien sur soi que sur le métier. Selon moi des organismes comme l’ORBEM devraient intégrer ces stages dans les services qu’ils proposent à leurs membres. Cela permettrait aux comédiens de rester en contact avec le métier et de continuer de faire des rencontres, primordiales dans ce milieu. Les gens sont souvent frileux de travailler avec d’autres personnes parce que justement il n’y a pas assez de rencontres. Quand je suis sorti de l’IAD je voulais jouer dans tous les théâtres de la ville, pour pouvoir par la suite choisir l’endroit dans lequel je voulais travailler. Mais c’est impossible, c’est très dur de s’intégrer notamment à cause du principe de "l’étiquette" qu’on te colle dans le dos en fonction de l’école dont tu sors.
Il m’est arrivé d’être refusé pour un rôle, simplement parce que le metteur en scène n’aimait pas le théâtre avec lequel j’avais travaillé par le passé. Ce qui serait intéressant justement serait de mélanger les comédiens des différentes écoles, leur permettre des occasions d’échanger des avis et de monter des projets. Dans ce milieu il est difficile de se faire entendre surtout si l’on est une personne réservée. Un comédien ne devrait avoir à "mendier" un rôle, il faudrait rendre ce métier plus humain.
Sorti de l’école, quelles ont été tes premières démarches en tant que jeune comédien dans le milieu ?
J’ai eu la chance dès la 3ème année à l’IAD de participer à un spectacle national : " Le Cocu Magnifique " de Fernand Crommelynck. Cette expérience m’a permis de faire plusieurs rencontres qui m’ont été bénéfiques. Ensuite, j’ai rencontré un metteur en scène dans une salle de billard, à force de discussions et d’échange nous avons décidé de travailler ensemble. Tout marche toujours par rencontres. En sortant de l’IAD, j’avais donc plusieurs projets. J’ai eu le statut de comédien très tôt après ma sortie de l’école, mais finalement ce statut ne représente qu’un petit confort financier et n’implique pas grand chose d’autre. Certains comédiens talentueux "explosent" dès leur sortie de l’école alors que d’autres comme moi prennent leur temps, évoluent et apprennent à leur rythme. J’aime travailler et ai besoin de ne jamais arrêter. Quoiqu’il en soit, il ne faut jamais attendre derrière son téléphone que quelque chose arrive... il faut aller voir, aller chercher.
Quels sont selon toi les pièges à éviter quand on sort d’une école ?
Avant tout il faut essayer de rester soi, quelque soit le contexte. Rester ce qu’on est, avec sa fragilité et sa sensibilité.
Surtout ne jamais arrêter de travailler et être respectueux par rapport au métier. A partir du moment où on a la chance d’être sur un plateau il faut en profiter, quelque soit son rôle. "Il n’y a pas de petit rôle il n’y a que des mauvais comédiens". Toute expérience est bénéfique, un petit rôle permet quoiqu’il en soit de voir les autres travailler : les comédiens, le metteur en scène, l’équipe technique. Un jeune comédien n’est souvent pas assez attentif à cela. Quand on a la chance de travailler, il faut l’apprécier, il faut avoir "le plaisir de travailler". Il ne faut pas penser au rôle qu’on voudrait avoir ni chercher à brûler les étapes. Il faut accepter que cela puisse prendre du temps...
Avant de finir, il faut quand même parler de ta nomination aux Prix du Théâtre en tant qu’espoir masculin pour ton interprétation d’ Adzio dans "L’exemple du Docteur Koczak ". Comment as-tu réagis ?
Je l’apprécie bien sûr, à sa juste valeur. Cependant je reste conscient que cela n’impliquera pas forcément une multitude de contrats. Je suis content que cette nomination soit arrivée maintenant, après 7 ans dans le milieu, parce que je la trouve juste par rapport au travail que j’ai fourni. La seule chose que je pourrais espérer de cette nomination serait qu’elle soit une manière de favoriser les rencontres et d’élargir les ouvertures. Je voudrais travailler toujours plus, mais pas forcément pour la reconnaissance, bien plus pour le travail que cela implique. J’aime ce processus de découverte et d’apprentissage plus que tout dans ce métier. Evidemment cette nomination est une forme de reconnaissance, mais pour moi cette reconnaissance est toute aussi importante de la part de mes partenaires, du metteur en scène et du public. Est-ce que mon travail et mon interprétation les interpellera ?
J’espère simplement que ma nomination ainsi que celle de Valérie Marchant pour cette pièce ( L’exemple du docteur Korczak ) donnera envie aux gens qui ne nous connaissent pas ou qui ne connaissent pas la pièce d’aller voir, de chercher à connaître...
Actualité :
L’exemple du Docteur Korczak de David Greig, mise en scène de Jules-Henri Marchant du 20 novembre au 13 décembre 2003 , ainsi que dans
L’Iliade de Homère/Paul Emond, mise en scène de Jules-Henri Marchant du 9 mars au 9 avril 2004 .
Ces deux pièces seront joués au Théâtre du Rideau, au Palais des Beaux-Arts.
Réservations : 02 507 83 61
Propos recueillis par Anne Antoni
Photographies : Spyro Valsamis