Si tu me survis
CHER FUTUR MOI …
L’avenir ne s’annonçait déjà pas rose et depuis peu il semble avoir viré au noir. Comment ne pas être saisi d’effroi à l’idée de vivre dans ce futur-là, a fortiori quand on est vieux, c’est-à-dire considérés à peu près comme inutiles, caduques et « coûteux », ou comme membres d’une tribu exotique ?
Avec cette nouvelle création, Ludovic Barth et Mathylde Demarez entrent dans le paradoxe du temps. Entre réalité et fantasmagorie, ils partent à la rencontre de deux individus qui les attirent autant qu’ils les craignent, deux individus qui n’existent pas encore et qui les connaissent pourtant : eux-mêmes dans trente ans.
Deux êtres sont liés par une amitié indéfectible. Quand celle-ci est devenue le lieu symbolique où s’entrelacent les failles intimes et les émerveillements, que l’un est un pilier de vie pour l’autre, comment imaginer que cette relation puisse vieillir ? Que seront-ils, que deviendront-ils, que pourront-ils, que voudront-ils encore l’un pour l’autre ? Si tu me survis,…
Virgule, et trois petits points en suspension, comme pour marquer une hésitation, indiquer un sous-entendu, solliciter l’imagination, dire le silence, énumérer le vide, laisser intervenir l’autre, ne pas achever de liste.
Si tu me survis, … est tel un pacte à la vie, à la mort, joyeux et impitoyable. Un spectacle protéiforme, intergénérationnel, et transdisciplinaire, comme on peut l’attendre de Clinic Orgasm Society (J’ai gravé le nom de ma grenouille dans ton foie ; DTC (On est bien) ; Pré-Blé-Fusée). L’humour et l’angoisse s’y étranglent en même temps qu’ils rient ensemble de l’apocalypse, des Cassandre et de leurs frères jumeaux, de la grande tragédie qui n’aura peut-être pas lieu et dans laquelle se pose la question du « cher futur moi » et de son état.
Si tu me survis,… est la première partie d’un projet dont la deuxième, temporairement baptisée … je me néglige, est prévue dans trente ans. Si tout va bien, Ludovic Barth et Mathylde Demarez feront de nouveau appel à eux-mêmes et créeront la suite et fin de ce spectacle en suspension sur base des archives qu’ils auront soigneusement conservées et qui les feront retrouver ces lointains souvenirs d’eux-mêmes.
SOIREE SPECIALE BORD DE SCENE : MARDI 26 JANVIER
Distribution
Conception et interprétation Ludovic Barth et Mathylde Demarez
Dimanche 31 janvier 2016,
par
Jean Campion
La Vieillesse ? Pas forcément un naufrage.
A la tête de la Clinic Orgasm Society depuis 2003, Mathylde Demarez et Ludovic Barth mettent au point avec obstination des formes théâtrales incongrues, pour surprendre le spectateur et titiller son imagination. Dans "J’ai gravé le nom de ma grenouille dans ton foie", ils le noient en plein délire anarchique, pour l’amener, par un tour de passe-passe, à savourer un conte déluré d’un nouveau genre. "Si tu me survis" est fort différent. L’implication des comédiens-créateurs change la donne. Ce sont bien eux qui, arrivés à la quarantaine, un âge charnière, se posent de nombreuses questions, en s’imaginant trente ans plus tard. Comment aura évolué leur amitié ? Auront-ils dominé l’angoisse de la vieillesse et la peur d’un futur qui s’annonce catastrophique ? Ce spectacle en suspension fournit des éléments de réponse. Un deuxième volet, baptisé provisoirement "Je me néglige", les précisera... en 2046. Le Varia nous fournit déjà les billets !
Dans une petite cabane, à l’arrière de la scène, Ludovic et Mathylde discutent avec deux comédiens, revêtus de combinaisons en latex, les représentant en septuagénaires. Tout au long de la pièce, les quadras seront confrontés à ces projections d’eux-mêmes. Connexion entre deux temporalités. Les rêves d’enfant, les tartines au gouda, Saint-Nicolas défendu par Terminator cohabitent avec l’alambic, distillateur de bière artisanale, et les chips qui poussent sur les arbres. Pas de fil conducteur, mais un méli-mélo d’images nostalgiques ou stressantes. Blanche-Neige se moque de la conteuse. Superman rampe péniblement, pour pouvoir laper l’eau d’une écuelle. Pendant que Ludovic se bat avec sa guitare, Mathylde récite le chapelet des peurs qui l’habitent.
Pour nous introduire dans cette fantasmagorie, les auteurs nous intriguent : une forêt insolite, un sanglier planqué sous une table démesurée... "un décor assez onirique, comme si nous étions dans un cerveau, dans une réalité mouvante, traversée d’idées, de fantasmes, d’angoisses." Ils font appel aussi à la mémoire musicale (Purcell, Michel Sardou, The Cure), à des jeux de lumière et à des objets bricolés, comme le costume de Terminator.
Dans notre société cynique, dominée par l’obsession du profit et menacée par l’apocalypse, les auteurs refusent de céder à la sinistrose : "Nous voulons croire que, dans trente ans, nous aurons conservé intactes nos facultés d’émerveillement et d’invention." C’est cet espoir qui les pousse à déguiser de jeunes acteurs, pour les représenter à septante ans. Pas de seniors plus ou moins dégradés, mais des corps vigoureux. Marqués par la vieillesse, ils sont animés par la pulsion de vie. Cet appétit incite ces "jeunes vieillis" à se rebeller : "On n’est peut-être que des projections, mais eux ne sont que des souvenirs, et les souvenirs, ça se transforme." Dans trente ans, Ludovic Barth et Mathylde Demarez, adeptes d’un théâtre de laboratoire, tritureront les traces de ces métamorphoses pour créer "Je me néglige".
Beaucoup d’imagination, un jeu convaincant et pourtant un spectacle décevant. On se sent concernés par les questions essentielles qui l’inspirent et l’on aimerait que les auteurs nous aident à partager leurs réflexions. Ils s’enferment malheureusement dans LEURS failles, LEURS espoirs et LEURS choix artistiques, en marginalisant le spectateur. Devant ce défilé d’images hétéroclites, on compte les coups. On apprécie l’intérêt de certaines mises en abîme, l’originalité d’une métaphore ou d’une loufoquerie, l’impact d’une séquence dramatique. On subit des baisses de rythme. On regrette la longueur de l’intervention du Barbapapa (marchand de souvenirs) ou de la scène de "L’Avare". On bute sur des rencontres énigmatiques. Bref, "Si tu me survis" suscite frustration et perplexité. Des sentiments traduits par la discrétion des applaudissements.
Jean Campion
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