En pleine période révolutionnaire, le cercle d’une petite maison noble est en pleine effervescence : Louis XVI honore leur spectacle de sa royale présence. Ce que tous ignorent, c’est que c’est sa fuite à Varennes qu’il organise pendant la représentation autobiographique de madame la Marquise. Une vie de pauvreté qui lui a valu de nombreux amants, dont l’un n’est autre que ... Robespierre. Ce dernier, venu assister à la pièce. Découvrant que le roi de France en a profité pour filer à l’anglaise, Robespierre trahi et outragé décide qu’il est trop tard : rien ne sera pardonné, et tant pis pour les victimes collatérales. C’est toute la noblesse qu’il faut diminuer d’une tête, même ceux de basse extraction...
Le texte, comme toujours, est riche de clins d’oeils. On y retrouve de tout, de la chanson populaire à l’actualité (la nôtre ou la leur), mais également des textes plus forts, comme des discours des personnages évoqués (Saint-Juste, Olympe de Gouges). Difficile de tous les saisir en première écoute, dans cette énergie, cette vitesse et dans les rires, dans l’ambiance propre au Magic Land Théâtre. Au centre de l’action, une mise en abîme : la Marquise a écrit une pièce qui présente sa vie, et qu’elle donne en spectacle dans l’ancienne chapelle de son château. Elle y retrace sa jeunesse infortunée à l’Hospice, jusqu’à la rencontre avec son mari. Autour de cette représentation, les amants se bousculent au portillon dans une ambiance qui aurait plu à Feydeau.
Du point de vue décor, la salle est enrichie de trompe-l’oeil sur les multiples scènes. Des fonds peints qui dessinent les lieux dans lesquels se joue l’intrigue, cela évoque rapidement le théâtre de boulevard. Des conventions que la mise en scène dénonce avec la mise en abîme en inversant la convention : la scène sur scène est plus vide, plus neutre que l’espace du salon avec son canapé et sa pendule. Et puisque ni le réalisme ni l’illusion ne semblent au centre de la recherche, et le public peut à loisir se plonger et dans l’histoire, et dans la réflexion. Et lorsqu’on sait que "c’est un jeu", lorsqu’on se retrouve dans cette distance brechtienne qui donne une touche épique au spectacle, on s’amuse, on s’en amuse et on plonge d’autant plus facilement dans leur univers, dans leur histoire, et on reçoit mieux ce qu’ils peuvent nous dire.
Finalement, cela simplifie presque le travail des comédiens : libérés de la nécessité de créer l’espace ou de clarifier l’époque, ils sont tout à leur jeu. Le rythme sur scène est endiablé. Une prestation d’autant plus impressionnante que, bien qu’elle semble réglée comme du papier à musique, certains acteurs, très à l’écoute de la salle, n’hésitent pas à broder, à inventer, à enrichir.
L’adresse de Patrick Chaboud se révèle au deuxième acte. L’humour léger, les contrepèteries et les critiques déguisées en clin-d’oeil servies jusqu’à l’entracte servent à mettre le spectateur dans de bonnes dispositions pour recevoir la suite, bien plus sombre. Et l’ambiance change du tout au tout : même s’il y a encore quelques blagues de-ci de-là, le public commence à sentir le vent tourner, et à voir où les artistes le mènent, et ça ne rigole plus. Le ton bouffon et farceur des comédiens ne dissimule pas la gravité de ce qui se joue, et de ce qui se dit. Car "Nuit torride à l’hospice" nous dit quelque chose : quelque chose de la déception et du manque qui entraîne les "petits" à détester les "grands", quelque chose de la révolte et de la lutte des classes, quelque chose aussi contre ces extrémismes qui fleurissent : tout n’est pas blanc, tout n’est pas noir.
Ainsi, malgré les costumes "d’époque", ils nous parlent d’aujourd’hui, sans doute... Quel art !