Faire les murs
D’abord, il y a le lieu « déménagé ». Comme, l’an dernier, le théâtre du Rideau, qui après trois saisons de mouvements posait enfin ses valises dans les locaux du XL Théâtre. Un déménagement en quelque sorte toujours en cours puisqu’il s’y prépare une rénovation lumineuse – rénovation pour laquelle le théâtre cherche d’ailleurs toujours des soutiens financiers, comme en témoigne l’appel de recherche de fonds sur son site internet.
Il y a ensuite le lieu « en transhumance ». C’est le cas de La Monnaie, qui jouera sa saison 2015-2016 hors les murs. En cause, la rénovation de ses espaces tant publics qu’administratifs, qui privent l’institution de la jouissance de son espace historique. On est tenté de s’en réjouir. Parce que ce mouvement entraîne un appel d’air vers l’opéra. Appel d’air artistique d’abord. Ainsi l’opéra Mitridate, Re di Ponte – œuvre de jeunesse de Mozart – étant, dans sa production de 2007 (mise en scène de Robert Carsen), incompatible avec les contraintes techniques de son futur lieu d’accueil – le « chapiteau de la Monnaie » – fait l’objet d’un appel à projet pour une nouvelle production. Une occasion de voir le travail d’un artiste émergent, jeune, différent... peut-être ? Réponse après le 28 septembre, date à laquelle un jury de professionnel se réunira pour départager les propositions. Mais l’appel d’air pourrait se faire public aussi puisqu’en fin de saison, après avoir vadrouillé entre Halles de Schaerbeek, Cirque Royal, Flagey ou Bozar, c’est en bordure de canal, sur le site de Tour et Taxis, que la Monnaie s’installera sous chapiteau. Et de passer de fauteuils rouges et velours à strapontins, du luxe doré s’essayer à l’expérience festivalière, il y a un on-ne-sait-quoi de dépaysant, un belle occasion de s’offrir un nouveau public, élargi.
Salle commune
Le lieu peut aussi se partager. Comme dans ce geste, quasi politique, proposé par les directeurs voisins du KVS et du Théâtre National, Jan Goossens et Jean-Louis Colinet. C’est leur Toernee Capitale, et ça a l’esprit jouissif d’un avenir théâtral qui se voit, se veut dans le bon sens, celui de l’échange et de l’ouverture. Concrètement, une programmation partagée, sanctionnée d’une offre commune d’abonnement. Ontologiquement, une proposition qui découle naturellement de l’initiative de dix ans « Toernee General », festival en switch programmationnel, spectacles flamands au Boulevard Emile Jacqmain, spectacles francophones au Quai aux Pierres de Taille. Un festival comme une évidence pour ces deux lieux, posés à 300 mètres l’un de l’autre. Mais un festival qui ne va pas de soi, nécessairement, dans une ville où « on doit encore penser majoritairement communautaire », selon Jan Goossens.
Toujours est-il que Toernee Capitale a vu le jour, « théâtre de ville imaginaire », rêvé « dans l’ici et maintenant, connecté au monde, authentique. Multidisciplinaire, et qui ne soit pas un théâtre de répertoire au sens de reproduction ». Une programmation qui respecte l’ADN de chaque partenaire, soucieuse d’équilibre et d’ouverture, de dialogue aussi. Car au-delà de la culture et du théâtre, au-delà des mots, c’est aussi un pont entre deux communautés, et un peu plus, que ce programme propose – le secteur géographique dans lequel les théâtres s’intègrent n’est pas oublié, les soirées Groovalicious mensuelles et colorées en tête. Puisque comme le souligne Colinet : « Il y a fondamentalement une place pour un théâtre engagé, ancré dans la ville, qui parle à d’autres publics et qui s’ouvre socialement. » Alors de là à changer les mentalités, les réalités, les quartiers, il y a un pas, certes, mais gageons, espérons que cette Toernee Capitale agisse comme un catalyseur.
En mouvance
Il y a le lieu. Puis il y a le mouvement. Car le théâtre est mouvement. Mouvements entre lieux, mouvements entre gens. Mouvements de gens dans un lieu, puis au dehors de ce lieu. Lieu qui serait alors passage. Comme L’L, espace d’accueil et d’expérimentation de la jeune création, qui fête ses vingt-cinq ans cette saison. Vingt-cinq ans à assister et épauler les débuts prometteurs, les haltes de l’en-cours, les essais et ré-essais. Pour en voir, ensuite, souvent, la maturation, en un autre lieu. A l’image du « C’est toujours un peu dangereux de s’attacher à qui que ce soit », duo de Eno Krokanjer et Hervé Piron qui, créé à L’L, laissera découvrir son loufoque second-degré cette saison à l’Atelier 210 et au Théâtre de Namur. Quant à L’L, c’est lui aussi – et pour une fois – dans une autre place qu’il fera la fête à son quart de siècle et aux nombreux passages d’artistes en ses murs ; ce sont les Halles qui l’accueilleront pour une party en feu d’artifice à l’occasion du jubilé.
Ici et ailleurs
Puis enfin, le lieu est aussi celui où s’inscrit le théâtre. Quartier, population, région, il s’y enracine, sans l’oublier. En le redécouvrant. C’est ce que tente de dire, de belles façons, l’expo Projet Code de l’Espace Senghor, regard photographique et résultat d’ateliers d’adultes du quartier sur ce même quartier. Regards neufs, renouvelés sur des lieux pourtant connus par eux. Une jolie façon de souligner, aussi, que le théâtre a ce rôle, essentiel, intime autant que public, de révéler autrement une réalité qu’on croyait connue.
POUR EN SAVOIR PLUS
*** Le Rideau de Bruxelles (Rue Goffart 7A, 1050 Ixelles) | www.rideaudebruxelles.be
*** La Monnaie Extra-Muros | www.lamonnaie.be
*** Toernee Capitale - KVS (Quai aux Pierre de Taille 9, 1000 Bruxelles) | www.kvs.be
Théâtre National (Boulevard Emile Jacqmain 111-115, 1000 Bruxelles) | www.theatrenational.be
*** L’L (Rue Major René Dubreucq 7, 1050 Ixelles) | www.llasbl.be
Les 22 et 23/04/16, soirées d’invasion des Halles de Schaerbeek*** C’est toujours un peu dangereux de s’attacher à qui que ce soit
Du 15 au 25/09 à l’Atelier 210 | www.atelier210.be
Du 29/09 au 01/10 et du 13/10 au 17/10 au Théâtre de Namur | www.theatredenamur.be*** Exposition Projet Code - Du 27/09 au 30/10 à l’Espace Senghor | www.senghor.be