Ramon Fernandez fut « l’un des plus grands intellectuels de son temps, socialiste à 31 ans, immense critique littéraire à la NRF et dans un journal de gauche à 38 ans, compagnon de route des communistes à 40…il bascule en 1937 dans le fascisme et devient collabo à 46 ans…Il meurt à la fin de la seconde guerre mondiale d’un long suicide alcoolique."
S’il avait survécu à cette longue maladie-suicide, il aurait été jugé par les tribunaux de la Libération, à l’instar des autres intellectuels qui ont fait le choix de la barbarie.
Soixante cinq ans après la mort de Ramon Fernandez, son fils, âgé de près de 80 ans part à la recherche de ce père perdu, fourvoyé dans un choix de lâche. Pour approcher de sa vérité, Dominique Fernandez dispose des carnets que sa mère n’a cessé d’écrire et qu’il lit pour la première fois lors de la préparation de ce livre monumental. Ensuite, il explore les écrits de son père, les articles qu’il continue de publier pendant l’Occupation, mais aussi les livres lumineux d’intelligence qu’il consacrait, avant la guerre, à Proust, à Molière, à d’autres auteurs qu’il analyse de façon magistrale. [1]
Tout cela exprime pour Dominique Fernandez la complexité inextricable et la contradiction permanente qui faisaient osciller son père Ramon entre « sincérité et trahison ».
A la fin de sa vie (il a 49 ans !) Ramon boit de plus en plus…se contredit…se renie…. "on dirait l’appel au secours d’un homme qui craint de se noyer »… Le récit-roman-biographie que lui consacre son fils tente de répondre à l’appel déchirant de cet homme qui finit « par chercher avec une application méthodique à se faire mépriser » Mais, comment un fils peut-il mépriser son père… ?
Ce qui rend ce livre bouleversant, c’est d’y lire à chaque page l’espoir de Dominique Fernandez que rien dans les actes de son père ne le rendra aussi indigne que sa dérive intellectuelle ne peut le laisser craindre.
Dans quelle mesure cette sensation relève-t-elle davantage du romanesque, que du récit biographique… ?
Au fil du livre, au fil de sa quête, Dominique Fernandez se laisse guider par différentes hypothèses expliquant l’adhésion de Ramon au fascisme : l’homosexualité refoulée, le fait de n’avoir pas été mobilisé en 1914 (il était de nationalité mexicaine), mais surtout le divorce avec sa femme, la mère de Dominique Fernandez, dont « le supplice a été de ne jamais parvenir à exprimer ses sentiments »… supplice qu’elle infligeait à votre père…même dans les carnets intimes…
Le biographe n’avait pas eu « droit à la tragédie du deuil » à cause de cette mère, à qui il devait son amour profond pour Ramon. Elle dit dans un de ses carnets : « Dominique si gentil et protecteur »…comme s’il devenait le père à la place du mort…Aujourd’hui, ce livre scelle cette paternité à contresens.
Ce très grand livre déchire dans le coeur d’un enfant le voile de la honte…même s’il ne donne pas la réponse à la question de savoir comment un homme de cette culture, de cette intelligence, de cette sensibilité a pu un jour, comme en se suicidant, s’associer à des barbares…
Edmond Morrel
PS : Jacques De Decker consacre à "Ramon" une de ses "tables de chevet" dans Espace Livres