Assailli par les sonneries du téléphone, Ben, anxieux, erre dans l’appartement. Abby l’incite à donner de ses nouvelles. Ses hésitations la choquent. D’un ton cassant, elle lui reproche sa lâcheté et son manque de compassion pour ces milliers de victimes. Ben se rebiffe. Même si son poste est plus élevé, elle n’a pas à lui donner de leçons. Elle n’est pas sa supérieure hiérarchique. Ils sont collègues. Une mise au point risible qui pousse Abby à dénoncer son manque de culture. Comment peut-on ignorer un héros comme Audie Murphy et son film autobiographique "L’Enfer des hommes" ?
Leur liaison mouvementée dure depuis trois ans. Malgré les heurts et la différence d’âge (elle a quinze ans de plus que lui), elle leur permet de s’épanouir sexuellement. Plusieurs séquences en témoignent. "Je me sens fort.", Ben se persuade qu’ils doivent saisir cette chance providentielle de refaire leur vie. Mais il éclate en sanglots, à l’idée de perdre définitivement ses deux filles. Troublée par la "solution inespérée " de son amant, Abby ne peut y adhérer. Alors que des collègues de travail figurent parmi les milliers de personnes assassinées, "ma seule réaction est de penser à nous tirer aux Bahamas. Ce n’est pas très beau !" Et puis, elle n’est pas prête à renoncer à son job, bien rémunéré.
Incarnée avec justesse par Laurence D’Amelio, Abby est une femme autoritaire et lucide, dont le tic est de "prendre note". Mais c’est aussi une amante emportée par sa passion pour ce jeune homme, qui lui échappe. Ben est tiraillé entre la recherche égoïste du bonheur et les exigences morales. "Je cherche à m’en sortir, avant que ce ne soit trop tard. Je crois pas pourtant être le diable." Par l’intensité de ses réactions, Thibault Packeu fait bien sentir l’ambiguïté de ce personnage insaisissable.
Dans ce huis clos, les héros de "Providence" sont d’emblée au coeur du drame. Ponctués de réparties cinglantes, les échanges sont souvent à couteaux tirés. La mise en scène de Thibaut Nève souligne cette âpreté, en encourageant le chevauchement de certaines répliques. Cependant, même si les images de l’attentat sont permanentes, on n’est pas émus par le désarroi de ces amants foncièrement égocentriques. La catastrophe leur donne mauvaise conscience, mais ne les implique pas dans le deuil collectif. Leur affrontement ne reflète pas le désir de fuir l’apocalypse, pour ressusciter dans un ailleurs. Sèche, amère, la pièce de Neil Labute manque de souffle. Heureusement que les comédiens jouent leur partition avec passion.
Photos : © Prunelle Rulens
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