Gaby a du mal à sortir de sa nuit. Pleine de sollicitude, Dominique s’excuse de l’avoir réveillée et insiste pour qu’elle aille s’habiller : "Il faut qu’on soit un peu présentables quand ils arriveront, entre dix et dix-sept heures." Une imprécision qui énerve Gaby : il faudra peut-être poireauter toute la journée ! Mais elle accepte docilement de multiplier les changements de tenue. Chaque fois qu’elle sort de la roulotte, en exhibant une jupe ou une blouse différente, Dominique pousse des hauts cris ou propose une solution saugrenue. En outre, tout en refusant d’être boudinée, elle voudrait que leurs vêtements forment un ensemble cohérent. L’humour mordant de l’autrice rend cette querelle dérisoire. Exit le rendez-vous.
Réfugiées dans un trou perdu, ces femmes ont besoin d’imaginer un avenir rassurant ou de noyer leur détresse dans l’alcool. Le plus souvent, c’est Dominique qui relance les échanges, où se mêlent espoirs et regrets. Elle se montre bienveillante à l’égard de Gaby, mais ne peut s’empêcher de la dominer. L’affection qui les unit est malmenée par ce rapport de force. Durant la longue séance d’essayage, Dominique se conduit comme une rivale, soucieuse de sa propre image. Cruellement, elle amène Gaby à redevenir la femme pitoyable, qui s’est présentée à sa porte. Elle l’oblige à enfiler la parka de Martin. En flairant son odeur, son amie se souviendra des coups de cette brute.
Par sa situation de départ et l’absurdité de certains échanges, "Privés de feuilles, les arbres ne bruissent pas" évoque "En attendant Godot". Cependant les héroïnes de la dramaturge néerlandaise sont très éloignées des personnages abstraits de Beckett. Elles nous intriguent par leurs dialogues laconiques, apparemment suprerficiels. En cherchant à comprendre ce qu’ils cachent, on entrevoit la force du lien, qu’elles ont tissé entre elles. Ces femmes traumatisées n’inspirent pas de pitié, mais de l’empathie et de l’espoir.
Marie du Bled souligne la dépendance de Gaby, qui se contente souvent de répondre par des "oui" ou des "non" fort expressifs. Elle a échappé à l’enfer et espère se reconstruire, sous la protection de son amie. Pas d’initiative. C’est Dominique, incarnée par une énergique Laurence Warin, qui doit remplacer le sucre, quand il se recouvre de mousse. La passivité de son amie l’agace, mais flatte son goût du pouvoir. En dominant remarquablement des dialogues très concis, les comédiennes laissent percer la violence sous-jacente. Avant qu’elle n’éclate et débusque le lourd silence de la honte. Par cette pièce surprenante, Magne van den Berg nous incite à rejeter nos a priori, pour réfléchir sereinement aux rapports de domination.
Photos : © Prunelle Rulens
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