La soirée débute sous les meilleurs auspices avec l’ouverture de « l pastor Fido »HWV8 composée en 1712, deuxième opéra composé par Haendel à l’intention du public britannique, alors qu’il avait moins de trente ans. Une ouverture à six voix, où le clavecin cède la place à l’orgue … qui met en place prestance et lumière. L’aréopage des cordes se fait discret pour mieux mettre en valeur les flûtes joyeuses. La direction d’orchestre est assumée, directe et généreuse. Voilà le décor bien planté par un homme, Leonardo Garcia Alarcon que la musique d’Haendel inspire.
Vient ensuite l’ « Ode for the Birthday of Queen Anne » HWV 74, écrit l’année suivante pour célébrer l’anniversaire de la reine l’année de la paix d’Utrecht (1713), une paix négociée mettant fin à la guerre de succession d’Espagne. « Eternal » long et appuyé dans « Eternal Source of Light Divine » invite dans l’espace divin…. Celui d’une reine adorée qui a octroyé à Haendel un accueil et un soutien chaleureux. La voix de Jean-François LOMBARD, contre-ténor séduit d’emblée, à la fois aérienne et résonnante. Cette voix a ce qu’il faut d’humour et la diction est impeccable. Elle affirmera tout au long du concert, la puissance de son inspiration et le naturel de son phrasé. Thibaut LENAERTS (jeune ténor belge) séduit lui aussi par ses timbres justes et corsés, juste ce qu’il faut. Dans le numéro 7 de l’œuvre, on croit reconnaître un numéro qui se glissera quelque part dans le Messie, l’un des « réemplois habituels » à cette époque où l’on pratiquait largement l’autocitation. Le chœur déploie dès le début une belle vigueur alors qu’il est réduit à un très petit nombre de choristes. A continuer le voyage, on pourrait se sentir transporté à une Candlemass dans une cathédrale, et pourquoi pas dans un autre siècle à St Paul’s, pour écouter une musique fastueuse. Mais ici on a l’avantage de profiter d’une palette de couleurs très diversifiées ne négligeant aucune nuance. La soprano, Salomé HALLER chanteuse d’opéras et d’oratorios française est peut-être un peu mois convaincante par son timbre légèrement aigre. Elle compense par une posture royale et un sourire mi-enjôleur, mi-altier. On lui préfère dans son duet par exemple, la contre-alto Mélodie RUVIO, qui fournit des tonalités moins superficielles. Mélodie Ruvio ne cherche pas à briller mais ses couleurs discrètes sont bien définies. Quant à l’intervention de Jean - Christophe FILLO (baryton), elle rallie entièrement le spectateur au mystère de Haendel. De puissantes vocalises sur les sons « a » profonds de l’anglais ont tout pour plaire. Il y a de l’intensité émotionnelle, un timbre glorieux et engagé, une richesse et une diversité.
La programmation de la soirée est bâtie en crescendo pour culminer dans le « Jubilate » et cela aide progressivement au lâcher-prise et à l’union avec la musique. Dès que l’on se trouve dans le « Te Deum d’Utrecht » HWV 278, tout concourt à faire monter les larmes aux yeux. Il y a cette qualité spirituelle qui a envahi le Conservatoire, effacé les murs et les craquelures et invite au mystère. C’est le temps d’une synthèse intime de l’être avec une aspiration spirituelle vers ce qui gouverne notre univers. On est dans cet espace qui relie la terre et le ciel, un espace de lumière sonore, multiple et mystérieuse. Ce que l’on pourrait nommer la vérité d’Haendel. Hasard ou foi ? On ne sait, mais c’est très émouvant, très humain et sublime à la fois. Le Numéro 6 « Oh Lord, Save thy people » est d’une humilité immense avec des pianissimos extrêmes contrastant avec le « Day by day, we magnify thee ! » victorieux et étincelant. La prière finale est palpitante. Les choristes sont partis se rassoir, le visage auréolé d’émotion profonde. Ce sont les rayons mordorés des violons et violoncelles qui ferment la marche.
Dans le « Jubilate » HWV 279 les instrumentistes affichent un plaisir évident de jouer et la première violoniste boit le chef d’orchestre des yeux. Il conduit avec sérénité et souplesse, jette les trompettes dans la joie, cisèle chaque pupitre qui vibre comme s’ils étaient cent. Les changements de solistes se font avec douceur feutrée et la musique est enveloppante. Le chœur a des interventions précises et naturelles, chaque pupitre instrumental prend la parole et le clavecin cède la place à l’orgue pour soutenir les voix. On est presque devant un ballet d’ondes musicales à la recherche de l’harmonie. Celle-ci éclate majestueusement dans les mots « from generation to generation. » Les violons jouent aux échos et les sonorités rejoignent l’infiniment petit. La construction de la finale met en vedette le chœur, les trompettes exultent. Des accords vibrants de violoncelles et contrebasses se mêlent à l’orgue pour souligner la fidélité profonde au Créateur. C’est très beau et sculptural. Esprit divin et Passion humaine semblent s’être rejoints. Les spectateurs s’empressent d’applaudir cet ensemble qui s’est donné avec tant de sincérité musicale et s’est retrouvé à la fête en offrant au public un ultime bis jubilatoire.