Rassurons tout de suite les habitués : il ne s’agit pas d’abandonner les traditions qui ont fait le succès de cette maison. On retrouvera ainsi des spectacles de répertoires (modernisés), tels que "Hedda" (d’après Ibsen), "Edmond" (d’Alexis Michalik - déjà un classique !), "Marcel" (qui questionne l’oeuvre de Proust) et "Julia" (d’après Strindberg) ; du cirque, avec "Yé ! (L’eau !)" et "Sono Io ?" ; et des créations à grand budget avec par exemple "Alma" (F. Murgia et Peggy Lee Cooper). Cependant, en parallèle, la saison 2022/2023 propose également quelques nouveautés très intéressantes.
Tout d’abord, l’association avec le CCN entraîne un ancrage dans la cité et différents partenariats qui favoriseront, je crois, le développement de la question culturelle au-delà du seul domaine artistique. Ainsi, en parallèle des spectacles, les artistes seront invités à aller à la rencontre des citoyens namurois. Cette dynamique remet, au centre de la culture, ces pratiques qui réunissent, rassemblent, qui permettent de faire "société". Mais sans doute deux exemples valent-ils mieux qu’un long discours : le Circus Baobab (qui joue "Yé ! (L’eau !)" ) occupera aussi l’espace public pour des rencontres acro-footballistique avec des équipes namuroises (performance "Foot de cirque... de rue !"). Alors que la culture et le sport se retrouvent régulièrement opposés dans le discours public, voici une occasion de rassembler des amateurs de beaux gestes, de grandes maîtrises techniques, et de prises de risques à travers un spectacle participatif. Plus tard dans la saison, c’est Sara Selma Dolorès (à l’origine de la performance audio-sensorielle "Finis ton assiette !") qui s’associe au philosophe Laurent de Sutter pour un atelier cocktails chez Botanical by Alphonse, établissement HORECA spécialisé dans la mixologie, installé dans la très vivante rue des Brasseurs. Une soirée prometteuse où les richesses gustatives le disputeront aux enrichissements intellectuels.
Ce ne sont, évidemment, pas les seuls croisement au programme. On le voit, Théâtre et CCN semblent bien décidé à faire de la ville entière un véritable lieu culturel.
D’autre part, il est également question de rencontrer d’autres goûts et sensibilités, en accueillant un genre peu représenté en art dramatique : l’Horreur. Le cinéma n’a donc pas le monopole des cris stridents et des sueurs froides, puisque début novembre se tiendra le Festival de l’Horreur : une semaine de frousse, de trouille et de frissons, tant pour les adultes que pour les enfants. L’occasion aussi d’habiter et de faire découvrir autrement le bâtiment historique qu’occupe le Théâtre de Namur.
Et puis, après la rencontre citoyenne et culturelle, après la rencontre de nouvelles esthétiques, il sera aussi question de rencontres pluridisciplinaire, en plein dans l’esprit de la récente réforme FWB : faire se croiser des lieux et des pratiques sociales avec les domaines d’expressions artistiques, pour amener l’art en dehors des lieux d’art. Les spectacles engagés se multiplient et s’enrichissent de véritables collaborations avec des praticiens ou des publics touchés par les problématiques qu’ils abordent. Porter ces paroles peut même aller jusqu’à les intégrer sans s’y substituer : par exemple, le spectacle "Écoute" s’est construit en faisant se rencontrer et collaborer des citoyennes namuroises et des artistes sur scène.
Le théâtre se fait donc également lieu véritablement public, ouvert à tous.tes.
Enfin, cette saison voit également une dernière nouveauté : une création jeune public portée par l’institution. Quand on sait les difficultés de financements et de production propre au secteur jeune public, proposer une telle création est donc le signe d’une haute conscience professionnelle, mais c’est également viser une diversification des productions puisqu’elle ne suit pas le circuit "typique" des spectacles jeunes publics : "Amamer" aborde ainsi un sujet complexe et peu abordé : l’absence parentale. Un choix audacieux et prometteur, puisque cette création s’est construite également par des rencontres avec le public-cible.
En un mot comme en cent, la saison 22/23 remet le Théâtre au coeur de la Cité. Et ça, c’est réjouissant !
Yuri Didion