No One
À travers cette tragi-comédie sans paroles, Sophie Linsmaux et Aurelio Mergola mettent en scène, dans un univers fantaisiste et décalé, la tension entre individu et groupe. Dans une stationservice perdue au milieu de nulle part, la sentence de la foule risque d’être sans appel.
Une nuit d’été caniculaire. L’air est moite, presque irrespirable. Une pompe à essence isolée, au milieu de nulle part, totalement décrépie. Derrière son comptoir, Roland regarde la télé. Soudain, un groupe de touristes et sa tour manager, Rosa, débarquent. Tombés en panne quelques kilomètres plus loin, harassés par la chaleur, épuisés par leur voyage et tendus par un début de vacances ratées, ils sont à fleur de peau. Rosa tente en vain de joindre l’assistance dépannage. Tout cela pourrait très bien se terminer… sauf que, l’unique téléphone, leur seul moyen de s’en sortir, disparaît sans laisser de traces. Les hostilités commencent entre un Roland suspicieux, un mystérieux motard casqué, une jeune mère épuisée par son enfant en pleurs, un jeune gars énervé et un groupe de touristes en colère.
Quelqu’un va devoir payer pour les autres… Le groupe va désigner son coupable ! Mais qui ?
Poursuivant leur volonté de mettre en scène, en images et sans paroles, la fragilité de l’humanité, Sophie Linsmaux et Aurelio Mergola s’intéressent à la figure du bouc émissaire –cette victime expiatoire–, ainsi qu’au phénomène de foule et aux comportements irraisonnés qui en découlent.
Avec beaucoup d’humour, d’étrangeté et une pointe de magie, No One –partition pour 5 acteurs et 10 figurants– questionne la dilution de la responsabilité, la désignation d’un bouc émissaire au sein de la foule et la puissance du groupe.
Distribution
Conception et mise en scène : Sophie Linsmaux, Aurelio Mergola
Interprétation : Julie Dieu, Colin Jolet, Muriel Legrand, Sophie Leso, François Regout, et un groupe de figurants
Scénario : Sophie Linsmaux, Aurelio Mergola, Thomas van Zuylen
Scénographie : Aurélie Deloche
Création lumières et régie générale : Hugues Girard
Création sonore : Guillaume Istace
Mardi 1er octobre 2019,
par
Marion Hermet
Qui a volé le téléphone du gérant de la station service ?
No One, la nouvelle création de la compagnie Still Life, nous plonge dans une comédie dramatique esthétiquement rétro, entre une pompe d’essence et le distributeur de boissons chaudes.
Aux premiers regards, la scénographie de No One correspond à une certaine étape obligatoire lors d’un départ de vacances : la station-service de l’autoroute. Roland, le gérant qui n’hésite à chanter du Mariah Carey durant son ménage, tient cette affaire depuis de nombreuses années. Or, cette nuit-là, il va vivre une histoire qui va tourner au drame. Un groupe de touristes et leurs accompagnateurs sont victimes d’une panne de bus quelques kilomètres plus loin. En arrivant au magasin, ils tombent dans un endroit quasiment coupé du monde : pas de réseau téléphonique. Juste un téléphone fixe payant, présent dans la boutique. Cependant, l’appareil disparaît sans raison apparente. Le groupe va devoir se résoudre à trouver un coupable, quitte à utiliser les méthodes les plus radicales.
Sophie Linsmaux et Aurelio Mergola, qui sont à la tête de cette mise en scène, ont fait le lourd pari d’en faire un spectacle totalement muet, misant sur la gestuelle et les comportements des comédiens, souvent marqués par l’excessivité. Une promesse bien tenue, mélangeant une situation quotidienne réelle – proche de Strip Tease - à la comédie humoristique. Le rythme de la pièce est fortement soutenu, et la durée de No One – une heure et cinq minutes – se laisse apprécier comme un épisode trouvé sur Netflix. Outre l’esthétisme kitsch des décors, qui nous renvoie directement dans un revival 90s, le groupe de touristes représente le cliché des vacanciers baladés de problèmes en problèmes. Parmi les figurants, une jeune mère, tentant de calmer son bébé, va devenir l’ennemi numéro une de ses camarades de jeu. Au delà de son rôle qui va, au fur et à mesure, devenir important : son interprétation est fascinante, touchant une grande palette émotionnelle afin de survivre dans une situation complètement délicate. Autres personnages qui nous ont marqués : le duo entre le conducteur et la tour manager, gérant le trajet. Une histoire de drague et d’assistance retardée finit par avoir raison des deux salariés et de leurs émotions à fleur de peau.
La succession des scènes prouve l’efficacité à une situation dantesque, résolue de façon dramatique, qui est à la hauteur du synopsis et de nos espérances. Sans être un grand coup de cœur, No One est néanmoins une pièce dramatique à l’humour bien ficelé, entre rires et surprises, qui se déguste sans modération.