La finance nous échappe, la spéculation nous dépasse et les guerres monétaires nous désespèrent. Françoise Bloch et sa compagnie pousse cependant la chansonnette plus loin en proposant avec son dernier spectacle une tentative de lecture du paysage économique actuel qui replace au centre du débat la question de la responsabilité. Derrière les actions il y a des investisseurs, derrière les bureaux de banque il y a des employés, en deçà de la complexité des chiffres, il y a des individus. Afin d’outrepasser la diabolisation d’un Système anonyme et désarmant, Money décortique le discours.
Quatre comédiens en costume trois pièces derrière des bureaux se mouvent dans un espace scénique dépouillé, slalomant sur des chaises à roulettes entre les cours de la bourse. Afin de nous introduire au b.a.-ba de la science économique, ils deviennent alternativement banquiers à la langue de bois, directeurs financiers ou clients naïfs. On plonge ainsi dans l’univers des multinationales, bercés par le doux ronron de mots tels que SICAV, fond d’investissement, avenir, projet, avantage, et autres plans pension. Emportés par une mécanique rodée et pleine d’allégresse, nos yeux écarquillés rient devant la succession de tableaux vivants et chorégraphiés qu’incarnent les comédiens.
Car outre l’intérêt énorme du spectacle sur le plan du contenu – un travail convaincant et largement documenté – tout l’art de Money réside dans la force et l’énergie de sa mise en scène et de sa scénographie. L’absurde des situations nous sauve de la crise de larmes et nous invite au questionnement, tandis qu’une utilisation de la vidéo souvent réussie permet quelques respirations au cœur du bilan affligeant que dresse la pièce. Et pour jongler avec ce sujet audacieux, les acteurs maintiennent avec brio humour et cynisme. On retiendra particulièrement la performance de Jérôme de Valloise, salué pour ses qualités de comédien par le prix de la critique lui aussi, ainsi que celle de Benoît Piret dont le monologue introductif nous invite avec une délicieuse ironie dans l’univers spéculatif.
Avec Money, le Zoo théâtre répond haut et fort par l’affirmative à la question de la possibilité de créer un théâtre engagé et éducatif sans ne devenir qu’un produit purement didactique dénué de sens artistique. Pour conclure, après la troublante poésie des dernières images, un prologue déroutant et original s’installe...7 minutes 30 pour trouver une solution au problème. De quoi vous donner l’eau à la bouche, non ?
Blanche Tirtiaux