Modèles réduits de Jacques De Decker, Editions La Muette, 2010.
Ne cherchez plus quel cadeau déposer sous le sapin : « Modèles réduits », le dernier recueil de nouvelles de Jacques De Decker est un enchantement. Le livre vient de sortir dans un écrin de toute beauté, un coffret, conçu et publié par « La Muette », une maison d’édition belgo française.
Dans un coffret bleu orné d’une peinture naïve évoquant le Cinquantenaire à Bruxelles, l’éditeur La Muette a glissé le dernier recueil de nouvelles de Jacques De Decker. Ce volume à la couverture rigide, blanche et immaculée démontre que le livre est aussi un écrin pour le texte. On ne peut ici que saluer le travail de l’éditeur, un nouveau venu, Bruno Wajskop et sa maison d’édition belgo-française, « La Muette ».
La table des matières, le catalogue de la « gamme des modèles », ne mentionne pas la date ni les circonstances de la première publication de ces textes enchanteurs. En lisant ces nouvelles, on découvre qu’il n’y avait aucune raison de préciser l’actualité ou la circonstance qui les ont engendrées : chaque texte est entré dans l’intemporalité dont seule la fiction est capable. On dirait que ces textes ont été écrits aujourd’hui.
Cette intemporalité explique peut-être la cohérence de l’ensemble de l’ouvrage, dont on aurait pu craindre (comme le prétendent beaucoup d’éditeurs frileux à l’idée de publier des fictions courtes) qu’il fut un archipel hétéroclite. Au contraire ! La cohérence qui structure la composition de l’ensemble du livre frappe d’emblée.
Dans l’entretien que Jacques De Decker nous a accordé, nous avons tenté d’identifier quelques unes des thématiques De Deckerienne et de relier entre elles les plus flagrantes. Bruxelles, Belgique, Europe constituent un trinôme que De Decker ne cesse d’interroger à la lumière de préoccupations qui hantent l’honnête homme : le devoir de mémoire, la transmission des valeurs, la nécessité du multiculturalisme. On y décèle aussi l’attrait de la complexité des choses que De Decker revendique autant que le rejet des certitudes.
Mais De Decker n’est pas un penseur de poncifs, c’est un écrivain. Il connaît la richesse et la variété des instruments du grand orchestre littéraire, et il en joue avec l’habileté souriante et faussement désinvolte de la vraie élégance intellectuelle. En procédant par touches légères, il dévoile les fractures infimes, il plaide pour le doute, il interroge l’émotion amoureuse, s’émerveille de la grâce des riens. Il s’indigne aussi. De l’indifférence, du désengagement, de l’absence de curiosité .
En exergue du recueil, une phrase de Goethe ouvre de façon ambiguë ces « Modèles réduits » : « Et néanmoins, dans maintes occasions, il est nécessaire et amical d’écrire des riens plutôt que de ne rien écrire ». Si par cette phrase De Decker laisse entendre son inquiétude quant à l’envergure de ces « grands textes courts » (expression empruntée à un nouvel éditeur parisien passionné de nouvelles !), qu’il soit rassuré. A partir de ces (prétendus) riens, il nous aide à ne jamais négliger la complexité du tout.
Allez dans la librairie la plus proche, vous verrez sur les tables ce livre qui détonne de l’ensemble par son originalité d’objet et qui vous enchantera par l’objet de chacun de ces récits traversés par les silhouettes de Tintin, de Baudouin, de Magritte, de Philippe Jones, de Pessoa et de Claus. Promenez-vous dans un Bruxelles qui a trouvé enfin écrivain à sa mesure : il fallait que celui-ci soit un vrai « zinneke » universel pour en donner à voir l’exceptionnelle étrangeté.
Paraphrasons encore notre éditeur de nouvelles, de ces « Modèles réduits », « vous m’en direz des nouvelles ! »
Edmond Morrel