Crédit : Hichem Dahes
Un plateau nu, un rais de lumière s’échappe de dessous le rideau plateau en fond de scène. Quatre interprètes, trois femmes, un homme, se laissent envahir par le rythme des tambours dans une danse survoltée. Dans un condensé d’énergie pure, chacun à son tour occupe l’espace. Même au ralenti, ils font preuve d’une présence impressionnante. Un autre homme les rejoint, plus posé, il est tout aussi présent et semble vouloir faire passer un message. Trois femmes dansent à l’unisson, plus calmes. La musique bascule vers le classique et des pointes font leur apparition.
Un couple excentrique, elle en robe lamée, lui en santiags, Stetson et costume rose, s’expriment en anglais. « You make my life beautiful », dit-elle. On plonge dans la réalité virtuelle avec des avatars qui s’esclaffent, des interactions avec un orchestre symphonique, une danseuse dont les mouvements sont dirigés à partir d’un bouton. Option 1, love, option 2 shy, option 3, tiger. Le cow-boy rose se déplace au ralenti sur fond d’une musique sifflée, il tire et esquive des balles qui le visent. Il assume le bruitage du galop du cheval, du vent, dans une ambiance western avec ses codes classiques : la porte du saloon, le verre gnôle,... Il apparaît que le cow-boy voulait devenir danseur mais son père ne voulait pas.
A Ludum, le jeu est roi et les habitants libres d’être et de faire ce qu’ils veulent. Ils sont sans cesse basculés entre la réalité virtuelle, où ils ont accès à une kyrielle de personnages et de situations, et le réel. La frontière entre les deux, entre la liberté et le chaos, est devenue ténue, entraînant une perte de repères et de sens. « Cet entrelacs, cette ambiguïté entre fiction et représentation de la réalité, et représentation théâtrale de la réalité, forme un ensemble mystérieux, écrit le chorégraphe Anton Lachky, une mise en abîme d’où émergent des questions : le jeu est-il ce par quoi le réel advient, le jeu est-il une stratégie que ces personnages utilisent pour accéder au réel de leur identité profonde ? »
Crédit : Hichem Dahes
Né en Slovaquie et formé à Parts, l’école de danse de Anne Teresa De Keersmaeker, Anton Lachky s’est attaché tout au long de sa carrière à développer les potentialités du corps en mouvement. Il avait déjà exploré, en 2015, le principe de la réalité inventée dans « Side Effects », une performance surréaliste qui se déroule dans l’esprit d’une femme délirante (avec notamment Patricia Rotondaro que l’on retrouve ici). Dans « Ludum », il oppose une danse féroce et puissante au virtuel artificiel tout en explorant l’appartenance au groupe qui implique le respect de ses normes et tend vers l’homogénéisation de la société qui en découle. Huit interprètes à l’énergie débordante font de ce spectacle une véritable bombe.
Article par Didier Béclard
Crédit : Hichem Dahes