L’inspecteur David Stern compulse un dossier. Au fond du bureau, une femme exaspérée manifeste son impatience. Convoquée pour une raison inconnue, elle attend depuis plus d’une heure, alors qu’elle devrait déjà vendre ses poissons au marché. En plaisantant, le policier la rassure : simple enquête de routine. Interrogée sur les lignes de bus de Jérusalem, qu’elle emprunte fréquemment, Amina Lamdani, commerçante palestinienne d’origine jordanienne, en cite plusieurs. Mais pas la 11 ! Pourtant la plus pratique pour rejoindre son étal au marché. Or c’est sur cette ligne qu’un terroriste, il y a quelques jours, s’est fait sauter avec sa charge d’explosifs, un peu après qu’elle est descendue du bus. Plusieurs témoins les ont vus se parler. Révoltée par la duplicité de ce Juif, qui joue avec elle comme un chat avec une souris, elle nie farouchement toute implication dans l’attentat. Devant son entêtement, Stern lui demande de retirer souliers, bijoux et la met en garde à vue.
Pour faire plier Amina, l’’inspecteur adopte un ton plus mordant. Il décrit les victimes, en lui imposant leurs photos. Dans cette hécatombe figurent des Israéliens, des Palestiniens, des enfants, des vieillards.. Certains rescapés des camps. Avec hargne, il lui reproche d’ignorer Auschwitz. La suspecte blêmit et se tait. Cependant elle acceptera le dialogue. Il lui est, en effet, impossible d’être séparée des neveux qui lui sont confiés.
Benoît Verhaert incarne avec beaucoup de maîtrise un policier courtois, déterminé et manipulateur. Ses questions sont des pièges. Enervé par les dénégations et les silences de la suspecte, il se déchaîne contre la lâcheté des terroristes. En assassinant aveuglément des innocents, ils condamnent Juifs et Palestiniens à se haïr. Axelle Maricq souligne la dignité d’Amina Lamdani. Cette commerçante proteste contre les multiples barrages, qui lui pourrissent la vie, mais n’est pas foncièrement antisémite. Acculée à faire certaines révélations, elle évoque avec émotion les brefs échanges avec son sauveur. Ils ne répondent pas clairement aux questions qui hantent Frédéric Krivine : "Que s’est-il passé dans la tête de cet homme-bombe ? Quelle force mystérieuse l’a conduit à épargner une femme qu’il connaissait à peine ? "
La mise en scène sobre de Laurent Capelluto soutient subtilement l’évolution de ces personnages nuancés. Le face-à-face tendu, ponctué de remarques sarcastiques et de répliques acerbes, laisse émerger progressivement leur humanité. Lorsque, dans un cri d’indignation, la suspecte dévoile au flic juif que sa soeur est morte, victime du conflit israélo-palestinien, il est touché par son deuil et regrette ses injures. En observant l’apparence de David Stern, Amina s’était persuadée qu’il vivait seul. Elle ne l’imaginait pas racontant à ses enfants, l’histoire du "Petit éléphant qui avait perdu ses défenses". Ces changements de regards nous préparent à un épilogue surprenant.
Jean Campion
Photos : © Prunelle Rule