Mais voilà certes l’amour de la musique solidement planté dans le cœur des 10.000 spectateurs qui se sont transportés d’un studio à l’autre, les derniers jours de juin, à la recherche du plaisir musical.
Il aura duré ce que durent les roses, ce Festival, l’espace d’un instant ! Un instant sans doute, si l’on sait qu’il faudra attendre pas moins de 362 jours pour que refleurisse ce fabuleux rosier aux 150 artistes. Mais quels instants, direz-vous ! Des instants inoubliables qui ont su confondre le Temps et son inexorable marche. Chaque heure de concert semble avoir été vécue comme un temps éclaté, comme un temps-espace différent. Quelle expérience… Aussi un Marathon nouvelle formule, pour ceux qui décidés à court-circuiter horloges et montres ne voulaient ni manger ni boire et juste s’abreuver de nectar éphémère et de magie musicale ad libitum ! Ainsi donc l’Amour est sorti victorieux, gagnant pour une fois la course contre le Temps. Pas fort étonnant d’ailleurs, puisque c’est l’Amour en personne qui était le thème central du festival réunissant 34 concerts, sur 5 plateaux différents, à Flagey et aussi pour la première fois, au Théâtre Marni.
Quelques sublimes (re)découvertes, dans le désordre (amoureux) :
Le coup d’envoi du Marathon sous la baguette enflammée de Patrick Davin et l’ensemble Trilogy, ensemble créé en 2011 par trois jeunes violonistes bien connus du public belge : Yossif Ivanov, Lorenzo Gatto et Hrachya Avanesyan. Avec le Brussels Philharmonic ils ont a réédité la prestation mythique du groupe à Beloeil de l’année dernière. (Entre autres : La Liste de Schindler, Once Upon a Time in the West, In the Mood, en passant par...l’incontournable Niccolo Paganini).
Beloeil, dites-vous ? On a tous couru - Marathon musical oblige - pour écouter Frank Braley,le mousquetaire du piano, jouer La fiancée vendue de Bedřich Smetana, le spectaculaire concerto pour piano composé uniquement pour la main gauche entre 1929 et 1931 par Ravel ( à la demande du pianiste Paul Wittgenstein qui avait perdu son bras droit durant la Première Guerre mondiale) et un Richard Strauss décoiffant. Inutile de dire que le Studio 4 a craqué sous les tonnes d’applaudissements délirants !
Salle comble aussi, évidemment, pour écouter le très Elisabethain Mateusz Boroviak, le prix des auditeurs Musiq 3 2013, qui nous a offert trois perles rares : Mozart, Sonate en ré majeur K311 ; Chopin, quatre mazurkas op 24 et un fulgurant Grazyna Bacewicz, œuvre contemporaine de son choix(1969). Un conte pour adultes ? Trois perles de bonheur, à vous d’en inventer les couleurs. Un merveilleux Bis inattendu, de la plume du Lauréat. Le problème c’est que si on applaudit trop longtemps, on rate le début de la séance suivante. Car les concerts commencent toujours « on the Clock » ! Damned Clock !
Oops ! On a raté le duo Nefeli, concert de harpes : « 94 cordes pour faire tourbillonner les cœurs ! » un large répertoire d’œuvres variées des XIXème et XXème siècles (Franz Schubert - Claude Debussy - Manuel de Falla - Carl Oberthur - Bernard Andres - John Thomas). Et on n’a pas non plus été au Marni écouter les plus belles chansons d’amour… Juste de quoi vous mettre l’eau à la bouche pour l’année prochaine ! On a aussi raté les Chansons de Bilitis !
On était par contre au rendez-vous dominical de 11 heures pour jeunes familles et papy-boom autour des Contes de la mère L’Oye, avec Marie Hallynck, violoncelle, Muhiddin Dürrüoglu, piano et Cédric Tiberghien, piano. Des enfants traversent la nuit en voiture. Marie-Laure, qui les accompagne, connaît des tas de récits mystérieux. Ils arrivent devant une grande maison féerique. Soudain, en pénétrant dans le salon de cette maison, Marie-Laure quitte le film et arrive sur scène dans ce même salon. Des musiciens y répètent des contes de Ravel, de Tchaïkovski et de Henze. …Les enfants n’ont certainement pas vu le Temps passer et se sont précipités ensuite à la découverte des instruments de musique aux ateliers organisés pour eux !
A 26 ans l’étincelante pianiste, jeune amazone du piano, Khatia Buniatishvili fait sensation. Sa musicalité influencée par la musique traditionnelle de Géorgie, son pays natal, est du « Matha Argerich revisited » en version féminissime et voluptueuse ! Gorgeous Georgian Musician qui manie le piano, « le plus noir de tous les instruments », avec un tempérament de feu ! En longue robe noire modèle tulipe, dos nu qui souligne une chute de reins vertigineuse, ou en robe courte, toujours dos nu, cette fois juchée sur des stillettos (stillettti ?) ahurissants, elle a par deux fois inondé son public de vagues d’amour et de tempête musicale jamais vécues auparavant. On lui décerne sûrement le stiletto de diamant pour un style inoubliable !
Le maître du théorbe, Rolf Lislevand, un Norvégien installé en Italie, nous a emmenés dans une valse à travers le Temps, car c’est un fou de musique ancienne… Mais c’est aussi un passionné de musique contemporaine, de musiques traditionnelles (flamenco), de musiques arabe et orientale. Il n’en faut pas plus pour écouter avec ravissement son répertoire passionnant de guitare baroque et de théorbe où l’on a la preuve tangible que ces musiques réussissent à merveilles à défier Celui que vous savez, et qui se gausse éternellement de notre humaine vulnérabilité. On ne peut pas rêver plus belle évasion ...musicale !
Inoubliable et fascinant aussi, ce jeu téméraire d’improvisation fulgurante auquel se sont livrés Boyan Vodenitcharov et David Dolan, sur deux pianos tête-bêche dans le Studio 1 !
Apollo e Dafne : une des plus belles cantates de Haendel. Il a alors 25 ans et se trouve à un tournant important de sa vie. Révélé à l’Europe entière par le triomphe de son opéra Agrippina à Venise en 1709, il se voit offrir une place de musicien de cour, telle que tout jeune musicien en rêvait à l’époque. C’est donc auprès du prince-électeur de Hanovre (le futur George 1er d’Angleterre) qu’il achèvera sa cantate Apollo e Dafne, œuvre magistralement interprétée, avec humour et raffinement, par les talentueux musiciens de l’ensemble Les Muffatti, et deux jeunes chanteurs captivants, tous deux formés au Conservatoire de la Haye, la canadienne Stefanie True et le portugais Hugo Oliveira. « Oh Temps suspends ton vol ! » (Prayers answered !)
L’air langoureux de La Strada de Nino Rota ou les célèbres thème de la Panthère Rose, du Clan des Siciliens ou de James Bond, par L’ Ô-celli : octuor de violoncelles. S’y ajoutent la fameuse ouverture tumultueuse de l’opéra de Verdi La Force du destin, et une Valse que le jeune compositeur Liégeois Harold Noben leur a dédiée. … « Prayers answered » encore, et toujours très peu de temps pour applaudir !
Voici le maelström d’émotions : Le Trio en mi bémol Majeur Op. 100 de Schubert exécuté avec grâce et émotions infinies par le Trio Saint-Exupéry(alias Lorenzo Gatto, violon, Beatrice Berrut, piano, Camille Thomas, violoncelle). Croisement de vivantes respirations musicales et pur ravissement. On les quitte à regret.
Voces 8, huit choristes de la Maîtrise de l’Abbaye de Westminster sont lauréats de nombreux prix internationaux, et l’un des principaux jeunes ensembles vocaux britanniques A cappella. Leur répertoire s’ouvre sur des polyphonies anciennes - Bach, Monteverdi - coule au fil du Temps, ( le suspendant au passage) , et se noie dans le jazz en passant par Queen ou Oasis. Ils captivent par l’étendue inouïe de leurs sonorités vocales. La mise en scène humoristique et chaleureuse emporte l’adhésion immédiate du public qui se précipitera sans doute sur Facebook pour les féliciter, chacun en particulier. Deux jeunes femmes pour six hommes en nœud papillon et fleur à la boutonnière ont vite fait de vous arracher à la réalité et vous faire battre les sentiers du rêve, vous aspirant dans la féerie de leur timbre très pur.
En finale, Amandine Beyer et Gli Incogniti, qui inauguraient le premier Festival Musiq 3, il y a trois ans rejoueront le concerto "L’amoroso" de Vivaldi, le jeune Orchestre du Festival très prometteur et Steve Houben (saxophone) feront revivre la musique de Gershwin et Cole Porter et la merveilleuse Khatia Buniatishvili dépècera frénétiquement la fracassante « Valse » de Ravel. La clôture revenant à Voce 8, faisant chanter tout son auditoire sur « Skyfall ». Ce n’est qu’un au revoir, mes frères…/Ce n’est qu’un au revoir ?I presume !