Les histoires de la baraque déclinent, tantôt avec tendresse, tantôt avec cruauté, le regard que l’homme porte sur la vie, la mort, la solitude. L’auteur plante ses deux pieds dans le terroir et l’imaginaire collectif pour convoquer des personnages prêts à raconter, à se raconter avec cette poésie qui sent bon la rivière, le marais, l’humus des forêts et la sève des arbres. mais c’est aussi une langue qui se construit au fil du récit et qui s’imprègne de l’accent de ceux qui la portent.
Rencontre avec l’auteur et metteur en scène Thierry Lefèvre
« Si tu n’as pas de pays, invente-le », c’est un peu le sous-titre du spectacle, une phrase d’Amédée Laminoir ? Le texte est écrit à partir de cette phrase ?
Thierry Lefèvre : Je n’ai pas écrit le spectacle à partir de la phrase, elle est arrivée par la suite car Amédée Laminoir n’existe pas. Il est lui aussi inventé. Je l’appelle Yves Amédée Laminoir car on a tous un laminoir.
Le spectacle consiste en huit tableaux dans la même baraque ?
Thierry Lefèvre : Oui, on a construit un petit théâtre de planches que j’ai glanées, des planches abandonnées. J’ai mis des annonces dans les boîtes aux lettres de mes voisins qui m’ont tous donné des armoires, des morceaux de porte et j’ai construit une cabane, une baraque. Dans le ventre de cette baraque on installe 25 spectateurs qui vont venir écouter des histoires. Il y en a effectivement huit mais il n’y aura pas chaque soir huit histoires. Peut-être qu’un jour cela arrivera mais huit histoires de 15 minutes c’est long. A priori, le programme pour le Boson c’est d’entrer dans la baraque et d’en entendre quatre.
Si on revient le soir suivant, on entend les quatre autres ?
Thierry Lefèvre : Pas forcément car on n’est pas aussi bien organisé que cela. C’est un planning aléatoire. Si on revient le deuxième jour on peut en entendre deux nouvelles mais peut-être aussi deux que l’on a déjà entendues.
Tu as un parcours de voyageur. Né à Nice, élevé à Alger, retour en France et de nombreux voyages. Le spectacle reflète cette itinérance ?
Thierry Lefèvre : D’abord j’ai écrit sans le faire exprès et ensuite j’ai regardé. Et c’est alors que je me suis demandé : « Mais qu’est-ce que c’est cette langue ? Cette manière de parler ? Et j’ai fait des rapprochements en me disant que je ne suis de nulle part ... D’où la phrase : « Si tu n’as pas de pays, invente-le ». Il y a une langue mais qui ne vient de nulle part, c’est un assemblage. On y trouve même des références à l’anglais alors que je ne suis pas bilingue.
Quelle est l’importance de la langue dans l’ensemble du spectacle. Elle est présentée comme étant poétique...
Thierry Lefèvre : Je suis attentif la langue. Vous parlez de poésie. Je suis un acteur. J’ai gratté des mots, j’en ai beaucoup en moi… Des choses en sortent. D’abord, je ne m’intéresse pas au quotidien, je ne m’intéresse pas à la réalité. Ces sont peut-être des facteurs poétiques. Je ne sais pas. Mais je m’intéresse à la musique, pas forcément à l’histoire même si je dois la prendre en considération par la force des choses et je me demande d’ailleurs pourquoi parce que ce qui m’interpelle c’est la chanson, la musique. Je suis les mots et ce sont eux qui me conduisent à une chute, à une fin que j’améliore. Mais je ne sais pas à l’avance ce que je vais raconter. Le moteur peut être le comédien, je vais alors écrire pour lui en le regardant avec mon œil. J’ai aussi écrit des histoires sans savoir pour qui je les écrivais.
Mais le texte en lui-même ne change pas une fois qu’il est fixé ?
Thierry Lefèvre : Oh là là si. Je suis en train de réviser mon texte vu que je raconte moi-même une histoire dans la baraque et chaque jour je le change. Je ne le fais pas en permanence pour le confort des autres et parce qu’on est huit, mais lors des dernières répétitions je changeais le texte.
Cette langue particulière, tu la qualifies donc de musicale ?
Thierry Lefèvre : Il n’y a que cela qui compte : le rythme, le battement, le silence. C’est pour cela que je dis que je n’ai pas d’intérêt particulier pour l’histoire. Bien sûr, j’aime que cela croustille, c’est quand même bon de faire le voyage mais ce qui fait vraiment exister l’histoire, c’est un mot qui en appelle un autre, qui téléphone à un autre…. Un des textes dit que les histoires viennent d’une vieille baraque de planches dans un village. Sur les planches, il y a des choses inscrites. Si tu arrives à décrypter la langue qui est cachée à l’intérieur, alors tu peux raconter l’histoire qui est écrite sur le mur. L’intérêt, c’est ce qui se passe à l’intérieur de soi. En entrant dans la baraque, tu entres dans le ventre de l’écriture. Et là il faut que cela musique, que cela swingue, que cela claque !
Pour aborder le fond justement, quels sont les thèmes de ces histoires ? On parle de fables, cela suppose une morale, un message…
Thierry Lefèvre : J’ai commencé par une histoire et j’en suis arrivé à huit. Et j’ai constaté qu’il y a des récurrences. Par exemple, aucun des personnages n’est milliardaire. Ce sont tous des abandonnés. Cinq ou six d’entre eux sont des orphelins. Je ne sais pas trop d’où cela vient. On peut se coucher sur un divan… Mais j’ai constaté en discutant avec les comédiens qu’ils n’ont pas tous un nom de baptême. Par contre, ils ont tous un surnom qu’ils se sont donné ou qu’on leur a donné. Cela en dit long. Cela signifie que même si, à un moment donné, on les a inscrits sur un chemin, ils ont pu en choisir un autre. Ou que quelqu’un d’autre a choisi un chemin à leur place, ce qui ne me déplait pas non plus. Pratiquement, il y a toujours un trajet de souffrance mais qui va vers la guérison. Il y a par exemple l’histoire du fils de bourreau qui doit devenir bourreau à son tour. Son père lui apprend le métier. Or un jour, c’est son père qui est condamné. Il doit donc trancher la tête de son père car c’est son devoir ainsi que son père le lui a dit. Sauf qu’au moment de trancher la tête de son père, il va la frôler, il le rase, il le frise, il passe juste à côté et il ne tue pas son père ! Et là, c’est le bonheur de sa mère, de ne pas avoir un fils qui tue son père… Mais il a tué son père car il n’a pas obéi. C’est ce genre d’histoires-là. Il y a aussi des rencontres, celles de gens qui ont appris à regarder parce que c’est une bonne manière d’apprendre.
Tu peux préciser ton processus d’écriture si tu ne connais pas les personnages au départ ?
Thierry Lefèvre : Je me suis par exemple réveillé avec le nom d’un personnage : Bartafuite. J’ai écrit là-dessus et j’écris tous les jours sans pour autant revenir sur l’écriture de la veille. Mais si je commence à revenir quatre jours de suite sur l’écriture de la vielle, de la veille, de la veille, c’est que d’un coup quelqu’un m’a pris la main et je suis ce qui se passe. Je ne dis pas que j’écrirai toujours comme cela. Mais un jour Bartafuite a pris la route. Il est parti et je l’ai suivi. Je le regarde, je le raconte et il s’avère que Bartafuite est le même personnage que celui qui parle mais je ne le savais pas avant de commencer. Pour le texte que je dis dans les histoires de la baraque, j’avais envie de parler d’une transplantation cardiaque. J’ai lu « L’intrus » de Jean-Luc Nancy qui parle de sa transplantation mais de manière précise, ici la transplantation est un peu folle. Il s’agit de quelqu’un qui donne son cœur à l’autre parce qu’il n’en a plus besoin car il est en train de mourir. J’avais envie de parler de cela sans en connaître le dénouement. Cela commence toujours par une rencontre avec quelqu’un, avec une pierre ou un arbre. Il y a aussi une histoire qui s’appelle « Lise », c’est la rencontre avec les arbres. En Colombie, j’ai vu des arbres grandioses. Quand on voit les arbres tropicaux, on se met à genoux, on pleure et on laisse venir parce que c’est magnifique. L’homme de l’arbre est venu et il y a eu la rencontre.
Le spectacle est illustré par une exposition, celle du peintre qui a illustré la publication du texte chez Lansman...
Thierry Lefèvre : Nicolas Gasiorowski que je connaissais par un atelier de clown est venu voir les histoires de la baraque et m’a dit que les tronches qu’il avaient vues dans la baraque étaient celles qu’il peignait. J’ai donc pris le train pour Paris. J’ai été voir ce qu’il faisait et je lui ai demandé s’il voulait bien réaliser une peinture pour la couverture de la publication des histoires. Et comme on s’installait au Boson, je me suis dit que ce serait bien d’y mettre les tronches de Nicolas en écho. Il faut dire que l’éclairage dans la baraque est minimaliste, presque un éclairage à la bougie, J’avais eu envie de masques pour déréaliser mais finalement la lumière fait effet de masque. Il suffit de mettre une lampe en-dessous du visage et on devient autre chose. C’est ce qui fait que les portraits sont particulièrement cernés.
Cette baraque dégage une atmosphère bien mystérieuse...
Thierry Lefèvre : Pour monter la baraque, ce sont huit ou neuf heures de travail. Quand elle est dans le camion, c’est une grande douleur. Quand on s’assoit à l’intérieur, je ne sais pas ce que se passe mais on a envie d’y dormir...
Propos recueillis par Palmina Di Meo