Erna regarde la retransmission d’une messe célébrée par Jean-Paul II. Le poste de télé (d’occasion !) est le seul luxe, que cette veuve d’une pingrerie maladive s’est offert. Elle porte une toque en fourrure, récupérée dans une poubelle et remplace les filtres à café par du papier cul. L’avenir de son fils Hermann l’obsède. Cet ivrogne refuse d’avoir des rapports avec les femmes. Les cadres destinés aux photos des petits-enfants restent désespérément vides. Dans son petit intérieur, elle vivote, à l’abri des mauvaises personnes qui souillent le monde. Grete mord dans la vie avec plus d’appétit. Grâce à son sex-appeal, elle compte ajouter quelques soupirants à son tableau de chasse. Mais son exubérance joyeuse masque mal sa solitude. Hannelore, sa fille, qu’elle n’a pas protégée contre un père incestueux, a émigré en Australie. Avant son départ, elle s’est fait "vider comme une poule, les ovaires et tout le reste." Depuis neuf ans, Grete n’a reçu qu’une banale carte postale. Sa seule amie : Lydia, son teckel. Marie vit dans sa bulle. Elle se sent investie d’une mission : déboucher les chiottes du curé et de la bourgeoisie locale. Les gens distingués lui conseillent d’utiliser des gants en caoutchouc, mais la petite Marie préfère travailler à mains nues, car "si Dieu s’est fait le monde entier, il a également fait le purin humain." Claquemurées dans leurs existences étriquées, médiocres, ces trois femmes parlent. Sans s’écouter. Ce sont des "Présidentes" "qui croient tout savoir et veulent décider de tout."
Chacune a sa vérité. Erna et Grete s’injurient, en viennent aux mains. L’innocente Marie les apaise. Libérant leur imagination, elles font vivre leurs fantasmes. Grete séduit Freddy et voit déjà ce riche fermier lui passer la bague au doigt. Touchée par les timides audaces de Wojtyla, Erna est prête à exploiter la charcuterie avec ce brave Polonais. Et Marie se surpasse en débouchant trois toilettes. Cerise sur le gâteau : au fond de chaque cuvette, elle trouve un cadeau. Mais le rêve éveillé tourne au cauchemar...
La mise en scène très précise de Laurent Fréchuret orchestre efficacement la transformation de trois petites bourgeoises frustrées en un trio de femmes exaltées par leurs désirs. Erna se lamente constamment sur son sort. En l’incarnant, Patricia Ide ne nous pousse pas à la plaindre. Prisonnière de ses certitudes, cette femme aigrie, avare est incapable d’aimer. Son idéal : devenir une femme d’affaires. Magali Pinglaut fait sentir la vulnérabilité de Grete. Elle chante, plaisante, crâne. Pour donner le change. Le mari qu’elle convoite pourrait l’épanouir. Habitée par la pureté de Marie, Laurence Vielle compose un personnage énigmatique, jamais ridicule. Ses "exploits" la transcendent et lui font espérer la sanctification.
Tournant le dos au théâtre conventionnel, "une cochonnerie ennuyeuse", Werner Schwab trempe sa plume dans le vitriol, opposant à la violence du monde la cruauté de ses mots. Les situations saugrenues, les provocations verbales suscitent des réactions fort différentes. Se faisant face, les spectateurs peuvent observer des visages fermés ou des rires complices. Prise au second degré, la pièce évoque le malaise laissé par le nazisme en Autriche, critique l’étroitesse d’esprit, le repli sur soi et dénonce les méfaits de la bigoterie, du cléricalisme et de la bien-pensance. Erna apprécie des films comme "Sissi", qui poussent les gens à devenir plus aimables et elle trouve que : "ce serait une bonne idée d’accrocher une simple croix en face de la cuvette ou une photographie de monsieur le Président. Ca rappellerait aux gens leur infériorité." Certaines séquences, comme la mise en abîme de l’épilogue, ouvrent la porte à plusieurs interprétations, tandis que d’autres sont alourdies par des répliques bavardes ou des effets redondants. Il n’empêche que "Les Présidentes" est une comédie originale, grinçante, jouée par trois actrices remarquables.
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