Le Théâtre de la Toison d’Or est né de l’initiative d’un groupe d’amis qui ont un jour décidé de reprendre un vieux cinéma et c’est une belle réussite…
Oui, nous étions cinq. Moi, j’étais l’artiste du groupe. Il y avait Sylvie Rager qui dirige encore aujourd’hui avec moi et qui a fait des études à Solvay, tout comme mon mari ; et ma meilleure amie et son ami qui débutaient dans les affaires. Il y a exactement 20 ans que l’on négociait pour ce cinéma (lui-même abandonné depuis 20 ans) avec le gérant de la galerie de la Toison d’Or de l’époque. Il a trouvé que notre projet était chouette et il a convaincu le propriétaire du lieu, Gillion, de nous accueillir dans le cinéma. Nous avons été locataires pendant 18 ans. Aujourd’hui, nous sommes propriétaires. Et à la même époque, nous préparions la saison qui allait commencer et j’étais aussi enceinte de mon premier bébé. Tout est arrivé en un seul coup.
Il est question d’ouvrir bientôt une nouvelle salle ?
Le cinéma comptait deux salles. Nous l’avons acheté avec des bureaux et une deuxième salle mais si on veut l’utiliser, il faut la remettre à neuf. Cela va être cher… on budgétise.
L’objectif a toujours été de rester dans la comédie ?
En tous cas, j’étais certaine d’avoir envie que les gens s’amusent autant que moi. Et aussi de m’entourer de collaborateurs avec lesquels j’avais envie de travailler. Il se trouve que par hasard, mes goûts ont rencontré ceux du public. C’est comme cela que tout est venu…
Ce succès, il est arrivé de suite ?
Nooon... pendant des années, on programmait 6,7 spectacles avec, au début, un succès par an. Mais tout de suite, nous avons connu un gros succès : c’était Bravo Martine que j’avais travaillé avec Laurence Bibot et qui avait été créé aux Ecuries à Boitsfort quelques mois auparavant. Quand on a ouvert le théâtre, on a décidé de le programmer. Laurence n’était pas convaincue : « Tu es folle, on ne va pas remplir 100/200 places » (les Ecuries, ce sont 50 places). Et nous, on a rétorqué : « si si si… ». Et il y a eu des files le long du trottoir ! Cela nous a encouragé : « Si c’est possible avec un spectacle, ce sera possible avec d’autres ! ». Au début, un spectacle par an cartonnait, puis on a eu deux cartons par an, puis trois cartons et aujourd’hui on ne fait plus que des cartons (rires). C’est chouette !
Il y a des recettes pour réussir un bon spectacle comique ?
Les recettes, c’est d’avoir de bons comédiens qui savent jouer de la comédie et d’avoir un bon texte, un bon auteur. Et si on a les deux, c’est bien d’avoir aussi un bon metteur en scène. La magie est là. Tous les comédiens ne savent pas jouer de la comédie. Il y a de très bons comédiens, extraordinaires même, mais qui n’ont pas ce qu’on appelle dans le jargon théâtral la vis comica, le pouvoir comique. Et il y a des gens qui ne sont pas comédiens et qui l‘ont.
Dans l’écriture, qu’est-ce qui fait que les gens accrochent à un texte et le trouvent comique ?
Comme certains ont l’oreille musicale, il y a des auteurs qui ont le sens de la bonne réplique. Ils ont, sur la société, sur ce qui les entoure, sur ce qu’ils vont décrire, un regard moderne et humoristique. Je ne peux pas croire pas que quelqu’un de sinistre dans la vie puisse avoir des talents de comédie. Il faut un sens de la dérision, de l’autodérision et aussi un talent d’écriture, bien sûr, il faut savoir écrire et ce n’est pas donné à tout le monde. Dominique Breda a une écriture différente de celle de Sébastien Ministru. Dominique a le sens de la réplique et il a un œil aiguisé sur les situations de la vie… Il arrive à dénoncer les travers de la société. Sébastien Ministru a vraiment l’art de la formule.
Vous êtes une découvreuse de jeunes talents, c’est dans une optique de renouvellement ?
C’est super important. D’ailleurs, la saison prochaine, il y a une nouvelle troupe de jeunes comédiens qui arrive. Certains sont encore au Conservatoire, d’autres en sont à peine sortis. C’est essentiel pour moi, je suis consciente que l’avenir, c’est eux… même si c’est rassurant de travailler toujours avec les mêmes, avec des gens qui ont de l’expérience... parce que l’inexpérience est parfois effrayante. Mais il y en a qui ont un tel talent comique, je ne peux pas les laisser partir. Je les accroche !
Le café-théâtre au sein du TTO va dans ce sens ?
J’ai créé le café-théâtre il y a deux ans. Il y a trois groupes différents. Le principe c’est que chaque groupe crée une compagnie qui fonctionne comme une asbl. Chaque compagnie produit des spectacles que ses membres écrivent, mettent en scène, jouent, comme dans un laboratoire. Et quand ils veulent prendre une pause artistique, ils peuvent accueillir une troupe extérieure. Mais c’est plutôt rare ! Mon idée est de confier le café–théâtre à des jeunes qui l’utilisent en tant que secconde formation après le Conservatoire (puisque c’est bénévole), pour tester leur talent d’écriture, de mise en scène, d’organisation… c’est eux qui doivent aussi produire, s’occuper de leur budget, de la presse etc. Ils apprennent de nouveaux métiers qu’ils n’ont pas appris à l’école. Ce qu’ils gagnent, ils l’investissent dans leur prochaine production. Le mot d’ordre est qu’ils sont libres de faire ce qu’ils veulent mais dans l’humour.
Qui les recrute au départ ?
Cela dépend des années. Cette année, j’ai demandé à Alexis Goslain et Antoine Guillaume qui sont des anciens du café-théâtre. Etant donné qu’Alexis et Dominique Breda ont beaucoup donné cours au Conservatoire, je leur ai demandé de trouver les jeunes qui formeront la nouvelle troupe. Ils sont venus avec des propositions. On a organisé plusieurs réunions avec eux. Ils vont aussi les parrainer la première année.
Est-ce le même public au TTO et au café-théâtre ?
Non, mais cela pourrait le devenir. L’idéal serait une collaboration. Le café-théâtre a un public plus jeune… bien que... cette année il y a eu un peu de tout comme public. Généralement, ce sont les copains et les copains des copains.
Il y a de plus en plus de créations dans la programmation, c’est une exigence ?
J’ai toujours proposé une ou deux créations par an, pas plus. L’évolution c’est qu’on a eu la possibilité de créer des pièces avec de plus en plus de comédiens. Je suis contente que le succès de la Toison d’Or soit devenu aussi le succès de comédiens et d’auteurs puisqu’on construit ensemble.
C’est aussi une programmation qui offre de beaux rôles à des comédiennes…
Oui je crois. Je n’en suis pas toujours consciente. J’aime que ce soit équilibré. Ce qui n’est pas toujours vrai au théâtre…
Un avant-goût des nouvelles créations pour 2015-2016 ? Il y a notamment un duo où l’on te verra sur scène.
Oui, Misère, c’est de Laurent Beumier qui adore le Misery de Stephen King. Il s’en est inspiré pour un huis-clos, un duo entre Pierre Pigeolet et moi. Pierre a beaucoup joué pour le TTO. Il a encore joué chez nous il y a un an mais il joue surtout aux galeries. Lui et moi, on a souvent été mari et femme sur les planches. Mais là, c’est autre chose : je vais le kidnapper pour l’obliger à changer l’histoire de son roman. Laurent Beumier travaille dans le domaine du son, de la musique. Il possède un studio et c’est lui qui crée nos bandes sonores. Je le connais depuis longtemps et il quand il m’a parlé de son projet il y a trois ans, je lui avais répondu « Tu es fou ! ». Mais pour sa première pièce, il voulait quelque chose de dingue, d’absurde, de décalé. On a donc fait une première lecture à trois et j’ai découvert un texte très enlevé. Cette année, je lui ai dit : « On y va ».
Il y a encore une autre création où il est question d’une interview qui dérape…
Oui, c’est notre premier spectacle. Pour nos 20 ans... comme nous n’avions pas l’intention de les fêter pendant toute la saison. On voulait quand même marquer le coup avec un spectacle pour des gens qui ne sont encore jamais venus au TTO ou qui n’ont pas connus le TTO d’il y a 20 ans, quelque chose d’accessible à tous. J’ai demandé à Sébastien Ministru et à Laurence Bibot d’écrire et ce qui est arrivé spontanément (on a un peu débriefé à trois) est une parodie du théâtre en général, du Théâtre de la Toison d’Or aussi bien sûr, et du théâtre "prise de tête". C’est l’occasion de se moquer un peu de nous-mêmes et des autres dans ce métier, et je joue dedans ! Je suis Nathalie Smet, je suis interviewée et je raconte mes souvenirs des vingt dernières années. Ils seront tous faux, mais ce n’est pas grave…
Il y a des reprises aussi ?
Il y a Juke Box qui a été un gros travail l’année passée et qui s’est avéré être un succès. J’avais demandé à plusieurs auteurs d’écrire sur le principe du cadavre exquis où il y en a un qui commence et l’autre qui continue. Dominique Breda et moi avons été les chefs d’écriture. Le boulot a été énorme, avec les comédiens aussi. Je trouvais donc dommage de ne pas le reprogrammer. Et puis j’ai voulu reprendre aussi Dernier coup de ciseaux, une comédie nominée aux Molières il y a un an et qui est à pisser de rire. Il y a cette interaction avec le public qui ravit. La pièce a été écrite il y a trente ans, jouée dans le monde entier mais elle n’avait jamais été traduite en français. On assiste à une scène dans un salon de coiffure... les gens comprennent qu’il y a un meurtre. Les flics débarquent et doivent trouver lequel des autres protagonistes à commis le meurtre. Ils demandent alors au public de les aider à trouver l’assassin. Les comédiens sont interrogés, ils doivent reconstituer la scène du crime. Le public les accuse de mentir, pose des questions aux comédiens... ce qui est fantastique, c’est que tout est écrit ! On connait les questions, c’est systématique ! Et on a appris toutes les réponses. Mais les gens croient qu’on improvise… on improvise en partie, il faut toujours retomber dans l’histoire, suivre le fil narrateur mais tout est hyper bien ficelé.
Il n’empêche que les représentations ne sont jamais les mêmes d’un soir à l’autre...
Non. Il n’y a que la première partie qui est la même. Dès que le public intervient, ce n’est jamais la même chose. Pierre Lafleur qui joue le rôle du commissaire est bon comédien mais il a aussi la capacité de faire réagir les gens. Parmi les autres reprises, il y a aussi Zidani, parce que les gens en veulent encore. Et Nathalie Penning avec Sous la robe pour quelques soirs au Centre Culturel d’Uccle.
Et comme nouvelle création Je m’sens pas belle, une adaptation du film homonyme avec Marina Foïs. C’est Myriam Youssef qui met en scène avec Julie Duroisin et Pierre Poucet dans les rôles principaux. C’est une comédie romantique mais très drôle.
Le concept Il n’y a pas de sot métier est-il abandonné ?
L’année prochaine il n’y aura pas de soirée Il n’y a pas de sot métier. C’est un projet que j’ai mis sur pieds il y a deux ans. Je demande à des experts d’un métier que je choisis de venir raconter leur métier sur scène et j’anime. La seule exigence est d’être drôle. Mais on le refera car c’est vraiment super. Il y a eu des gens intéressants, qui se sont avérés hilarants et qui en même temps avaient des choses à raconter sur leur trajectoire.
Comment fait-on pour inviter un expert et être sûre qu’il sera drôle ?
Ah, ça, cela fait partie de moi. Une de mes qualités, si j’en ai, c’est d’avoir le flair pour trouver les bonnes personnes. Quand on a commencé avec Tu feras l’université mon fils, j’ai pris des gens que je connaissais et je les ai mis sur scène, dont Nathalie Penning. Et j’ai trouvé des gens qui ont le sens du comique pour chaque soirée car il n’y en a pas seulement dans le milieu théâtral, il y en a des toutes les branches. Pour les chercheurs, et Dieu sait que… j’ai trouvé un chercheur plasticien, un archéologue, j’ai déniché un chercheur biologiste… un physicien. Je me renseigne, je les rencontre et si je sens un truc, on y va… Il y a eu Tu seras médecin, Tu travailleras dans la mode, Tu travailleras dans les médias, Tu seras humoriste, Tu seras artiste, et même Tu étudieras et puis tu deviendras artiste…
Partez-vous en tournée ?
Depuis quelques années, ça y est ! Denis Janssens s’occupe des diffusions et certains spectacles ont déja beaucoup de dates en Wallonie. Enfin ! Le TTO est représenté à l’extérieur. On a mis quelques années pour démarrer.
Être passée de comédienne à metteur en scène, la transition allait-elle de soi ?
Oui, c’était naturel. L’année prochaine, je serais assez souvent sur scène mais ces dernières années, je jouais une fois tous les deux ans. J’aime bien jouer, beaucoup même, mais c’est moins nécessaire qu’avant. Et je prends plus de plaisir dans la mise en scène. Et puis, jouer le soir, c’est une vie particulière ! Je suis maman de deux enfants, bon, ils sont grands maintenant ! Mais ils sont encore là et pour la vie de famille, c’est plus confortable de mettre en scène.
C’est complexe de concilier la direction d’un théâtre et la vie privée ?
Je suis maintenant dans une période un peu plus calme. J’ai eu une année très chargée. Je n’en pouvais plus. Je n’ai pas de plaisir quand c’est trop… mais sinon j’ai toujours tout concilié car je crois que je suis une paresseuse contrariée. Je ne peux pas m’empêcher d’avoir des projets, des idées. C’est mon adrénaline.
Quelles sont les réalisations qui t’ont apporté le plus de satisfaction ou de plaisir ?
Les premières pièces que j’ai jouées ici, il y a dix-neuf ans, grâce au soutien de Marc Moulin. Il était musicien et chroniqueur pour la RTB. Il a écrit les pièces qui ont été mes premiers succès, de vrais cadeaux ! Il a été une des personnes les plus importantes dans le succès du Théâtre de la Toison d’Or. Il n’est plus là, hélas… il est décédé il y a 6 ans et je ne suis pas la seule à être triste de ne pouvoir fêter les vingt ans avec lui…
Tu n’hésites pas à reconnaître que tu as toujours été mauvaise élève partout. Il y a eu un élément déclencheur à un moment donné ?
J’ai découvert avec le temps que je ne suis pas scolaire et que c’est dans ce côté « brouillon » que je suis créative. Dans mon parcours scolaire et dans ma vie de comédienne, j’ai découvert que, quand on ne veut pas de moi, c’est alors que je deviens créative. C’est très bizarre. C’est comme si tout à coup, tout se met en place. Les idées viennent et je commence à faire à agir. C’est comme ça…
Un conseil que tu pourrais donner à des jeunes comédiens ?
C’est de ne pas se prendre la tête, de ne pas vouloir être seulement acteur mais d’accepter de toucher à tous les métiers connexes, surtout de ne pas attendre que le téléphone sonne, le téléphone sonnera rarement, de vivre sa vie comme une grande entreprise. Il vaut mieux faire que parler… (rires)
Propos receuillis par Palmina Di Meo