Au soir de sa vie, le roi Lear décide d’attribuer à chacune de ses filles, une part d’héritage proportionnelle au témoignage de leur amour. Goneril et Regan se plient au jeu de leur père et voient leur hypocrisie récompensée. Mais Cordélia, sa préférée, le prévient honnêtement qu’elle destine à son futur époux la moitié de son coeur. Blessé dans son orgueil, le roi la répudie et déclenche la tragédie. Dans une intrigue parallèle, le comte de Gloucester manque tout autant de discernement. Manipulé par Edmond, son fils bâtard, il se laisse persuader de la traîtrise d’Edgar, son fils légitime.
C’est au bout d’un chemin de croix que ces pères aveuglés réaliseront leur erreur. Accablé par l’ingratitude de Goneril et de Regan, ce roi, qui prétendait se libérer de sa charge, sans renoncer à son titre et à ses cent chevaliers, erre dans la vaste lande, dévastée par la tempête. Il s’enfonce dans la folie. Une folie qui l’amène à se mettre à nu et à implorer le pardon de Cordélia. De son côté, les yeux crevés, Gloucester découvre la vérité, grâce à la sollicitude d’un pauvre vagabond, qui n’est autre qu’Edgar, son fils injustement banni.
Pour Lear, dès notre naissance, nous pleurons d’être entrés dans ce "grand théâtre de bouffons". Partagés entre notre réalité profonde et notre image, qui sommes-nous ? Dans leurs costumes clownesques, les fous interpellent le roi par leurs questions et leurs sentences ambiguës. Kent et Edgar jouent les anges gardiens, en se cachant sous des déguisements. La scénographie de Daniel Lesage souligne le "besoin de théâtre". Ces cordes rouges, qui suggèrent à la fois un ring, une prison, ou un destin en perspective, participent à la déchéance de Lear. Ebranlées par la tempête, elles s’effondrent, se tordent et s’entremêlent, pour recevoir le vieux roi, enlaçant le cadavre de Cordélia.
Comme souvent, la tragédie se termine par une hécatombe. Mais le metteur en scène joue la carte de la discrétion. Pas de sang ! Même dans la scène de mutilation de Gloucester. C’est avant tout aux différentes facettes de l’âme humaine que s’attache Lorent Wanson. Shakespeare nous fait passer de l’orgueil à la honte, de la loyauté à la perfidie, de l’égarement à la lucidité. Atout majeur de ce spectacle : la traduction vigoureuse et poétique de Françoise Morvan, qui aide les comédiens à interpréter leur personnage avec conviction. Dans le rôle de Kent, protecteur fidèle et efficace, Philippe Jeusette manifeste une autorité impressionnante. Par son jeu maîtrisé, subtil, Jean-Marie Pétiniot met en valeur la dimension tragique du héros. Monarque buté et injuste, Lear est l’artisan de sa propre perte.
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