Acte III, Scène X
Un baiser, mais à tout prendre, qu’est-ce ?
Un serment fait d’un peu plus près, une promesse
Plus précise, un aveu qui veut se confirmer,
Un point rose qu’on met sur l’i du verbe aimer ;
C’est un secret qui prend la bouche pour oreille,
Un instant d’infini qui fait un bruit d’abeille,
Une communion ayant un goût de fleur,
Une façon d’un peu se respirer le coeur,
Et d’un peu se goûter, au bord des lèvres, l’âme !
20.000 spectateurs attendus à l’Abbaye ! Formidable pied de nez à la morosité verbale et affective de notre siècle, voici sous les étoiles, en vers et en 12 pieds, le nez en l’air et l’air d’un soir, un voyage tout en poésie entre la Terre et la Lune… Voici : Cyrano, Roxane et Christian. Et le trio qui les incarne à la perfection : Bernard Yerlès, l’exquise Anouchka Vingtier et le très rebelle Damien De Dobbeleer.
Une magnifique aventure collective dirigée avec amour profond du théâtre par Thierry Debroux, qui signe tous les émois. On découvre Roxane, une jeune femme belle et distinguée, Christian de Neuvillette, un jeune noble qui l’aime en secret et le comte De Guiche (le formidable Éric De Staercke), qui cherche à faire de Roxane sa maîtresse et veut la marier au vicomte de Valvert (Julien Besure), ce à quoi la jeune femme ne souscrit pas, bien évidemment. Jacques Capelle, grand chorégraphe, signe tous les combats.
Verbe et Costumes hauts en couleurs
…Comme des Accords mets vins !
Sachez que tous les costumes de l’ardente équipe d’Anne Guilleray aux doigts de fée, racontent une histoire, jusqu’à la tenue du pâtisser poète… Rageneau : Michel Poncelet, dans toute sa splendeur. Ah ! Comme il nous plaît ! Et que chez tous les comédiens, la diction est belle !
La robe jaune vif, solaire couleur du pouvoir, parfum de jouvence et d’éternel été, se cache sous un lourd manteau de souvenirs. Il est fait de la moire de l’empire du deuil et des larmes. Roxane, éplorée de bout en bout n’en peut plus d’enterrer le bonheur ailé de l’amour : Cyrano. L’homme-parole est vêtu de cuir et d’humus. Mais sous sa cape d’argent, il voyage entre Terre et Lune sur des chemins semés d’étoiles. Une cape d’argent ? Pour mieux jouer la folie des rayons de lune et mieux tromper le monde terre-à-terre.
Et l’habit gris, couleur de colère du ciel, ventre-saint-gris ! C’est celui du pauvre Christian, une pâle esquisse de son verbe déficient mais tellement seyant !
Les pourpoints brodés et enrubannés appartiennent à De Guiche et autre Carbon de Casteljaloux, pleins de suffisance et de mâle prétention.
Le fidèle et véritable ami Le Bret (Jean-Philippe Altenloh) arbore des nuances d’été indien…
Oui, l’œil ne cesse d’être frappé par bien d’autres costumes encore ! Sur scène, comme Edmond Rostand le souhaitait, ainsi que feuilles au vent, une foule de bourgeois, marquis, mousquetaires, tire-laine, poètes, cadets, gascons comédiens, violons, pages et précieuses… Ils sont si pittoresques, agrémentés de notes anachroniques, comme surgis d’une improbable montgolfière, les époques se mélangent. Vive l’imaginaire ! Voici même un admirable Trissotin, des perruques qui s’envolent, et autres délirantes coiffures façon Tampon-Jex. On reconnait Cédric Cerbara et ses rôles annexes, une Béatrice Ferauge alternativement Duègne compassée et coquine Sœur Marguerite ! Tous comédiens exaltants – excusez du masculin ! – une fabuleuse équipe et Olivier Francart qui joue Lignière.
Lieu d’exception
Thierry Debroux a fait le choix de présenter le chef d’œuvre d’Edmond Rostand en un seul lieu. Le lieu géométrique de tous les affects, la nef des joies et des larmes de tant d’humains, au cœur de l’antique Abbaye font sens. Personne ne se balade, tout le monde voyage et prend l’air à pleines narines.
Que personne ne bouge ! Un écrin chargé d’histoire et de souvenirs, le choeur et la nef de l’abbatiale accueillent tous les changements de décor : de l’hôtel de Bourgogne où doit se tenir la pastorale du poète hypocrite et bête, honni par Cyrano et qui débouche sur un duel, à la rôtisserie des poètes où Cyrano brûle de rencontrer Roxane, à la scène du balcon où deux cœurs brûlent pour une seule femme, au siège d’Arras où tout le monde meurt de faim, et enfin au lieu de la mort de Cyrano, dans le Couvent des Dames de la Cour où Roxane a trouvé refuge.15 ans après la mort de Christian, Cyrano va mourir aux pieds de celle qu’il adore, lui disant la Gazette du jour pour la dernière fois… Et jamais le trou laissé par sa disparition ne se refermera.
C’est à l’abbaye de Villers-la-Ville qu’a flotté tout l’été le panache du grand disparu. Un supplément d’âme. Le souffle du poète. Des tirades et des envois qui pourfendent la laideur et distillent la beauté. Mais qu’est-ce que le panache dira-t-on ? La plume, bien évidemment. Celle qui flotte glorieusement au feutre du mousquetaire.
« Le panache n’est pas la grandeur, mais quelque chose qui s’ajoute à la grandeur, et qui bouge au-dessus d’elle. C’est quelque chose de voltigeant, d’excessif, — et d’un peu frisé. Si je ne craignais d’avoir l’air bien pressé de travailler au Dictionnaire, je proposerais cette définition : le panache, c’est l’esprit de la bravoure. Oui, c’est le courage dominant à ce point la situation qu’il en trouve le mot. Toutes les répliques du Cid ont du panache, beaucoup de traits du grand Corneille sont d’énormes mots d’esprit. Le vent d’Espagne nous apporta cette plume ; mais elle a pris dans l’air de France une légèreté de meilleur goût. Plaisanter en face du danger, c’est la suprême politesse, un délicat refus de se prendre au tragique ; le panache est alors la pudeur de l’héroïsme, comme un sourire par lequel on s’excuse d’être sublime. Certes, les héros sans panache sont plus désintéressés que les autres, car le panache, c’est souvent, dans un sacrifice qu’on fait, une consolation d’attitude qu’on se donne. Un peu frivole peut-être, un peu théâtral sans doute, le panache n’est qu’une grâce ; mais cette grâce est si difficile à conserver jusque devant la mort, cette grâce suppose tant de force (l’esprit qui voltige n’est-il pas la plus belle victoire sur la carcasse qui tremble ?) que, tout de même, c’est une grâce… que je nous souhaite. »
Cette plume dont se sert Cyrano pour écrire ses lettres d’amour. Celle qui va au vent comme un baiser vers l’infini.
Acte V, Scène VI
Oui, vous m’arrachez tout, le laurier et la rose !
Arrachez ! Il y a malgré vous quelque chose
Que j’emporte, et ce soir, quand j’entrerai chez Dieu,
Mon salut balaiera largement le seuil bleu,
Quelque chose que sans un pli, sans une tâche,
J’emporte malgré vous, et c’est…
C’est ?
Mon panache.
Où qu’il aille, on décerne 5 étoiles à ce spectacle sublime, sans hésiter !