Dès l’instant où l’œil pénètre dans la salle du Petit Varia, transformée pour l’occasion en café-théâtre, un parfum d’exotisme emporte les sens. La pièce n’est même pas commencée, nous sommes plongés au cœur du Quartier Rouge d’Amsterdam. En attendant que la représentation débute sur la scène du Mexico-City, le public peut consommer l’une ou l’autre boissons. Soudain, l’attention générale se tourne vers un client à l’ivresse quelque peu démonstrative. Maugréant d’abord contre le bar-man hollandais (Almamy Barry) qui rechigne à prendre sa commande, l’individu finit par s’adresser franchement à l’assemblée. L’entrée en matière est parfaitement maitrisée. Les gestes, les paroles du comédien Benoit Verhaert sont remarquables de naturel, conférant au personnage de Jean-Baptiste Clamence, avocat parisien sur le chemin de la repentance, une existence dont le réalisme inquiète singulièrement.
A l’appui de ce récit bouleversant, une voix se pose en léger contrepoint. Entre deux confessions de Clamence le « juge-pénitent » (comme il aime à se présenter), la chanteuse Laïla Amezian glisse son interprétation de standards de jazz a cappella. L’exercice est périlleux mais pleinement réussi, tant le chant se livre sans virtuosité gratuite ni présomption, une humilité bien appréciable qui vient contrebalancer la véhémence du propos camusien. L’ensemble est soutenu par un éclairage intime, quelquefois enveloppant, oppressant à d’autres moments. Seule ombre au tableau (qu’on a peine à mentionner) : les effets sonores. Loin d’être mauvais, ceux-ci ne nous ont pas semblé d’une grande nécessité pour une narration qui s’en passerait sans difficulté.
Que penser finalement de cette Chute ? Le jeu de Benoit Verhaert est proprement flamboyant. Ce n’est pas l’acteur ni le personnage fictif qui se dresse, mais juste un homme, l’un des nôtres qui décide un jour de prendre la parole pour tous ses contemporains. A ses coté, rayonne la chanteuse Laïla Amezian. Ce duo d’un genre particulier fonctionne ici admirablement. Ce théâtre de proximité amuse d’abord, fascine ensuite et finit par saisir complètement le spectateur, qui ne peut échapper aux invectives qu’on lui adresse. Nul doute que Clamence le « juge-pénitent » puisse encore offrir à d’autres publics son message de rédemption universelle.