Nul doute cependant, la pièce possède des qualités. La scénographie (Olivier Wiame) impressionne dès le premier pas posé dans la salle. Au fond de la scène, se dresse un mur sombre et imposant, dont on devine les quelques ouvertures à peine dessinées, comme un calendrier de l’Avent monumental. Au moyen d’un tel dispositif, les allées et venues des différents éléments se font souples et fluides. Une bouche s’ouvre, c’est un lit qui se glisse sur le plateau. Un cercle bascule sur le coté, voilà une lune qui jaillit dans le firmament. De même, les polyphonies siciliennes, qui n’interviennent que trop tard dans la pièce, sont fort bien maitrisées, malgré la difficulté technique requise par ce genre de chant. Certainement, l’élément esthétique constitue le véritable point positif du spectacle.
Et puis, la dramaturgie et la direction viennent perturber cette image séduisante. Cela commence pourtant fort bien. En guise de prélude, une cosmogonie d’esprit rabelaisien installe une ambiance lourde et pénétrante, à laquelle succèdent deux premières scènes jouées avec justesse et efficacité. On saluera tout particulièrement le monologue de Gepetto (Jean-Michel Balthazar), cramponné tendrement au bout de bois qui n’est encore que l’ébauche de Pinocchio. Soudain, le pantin s’anime. Entrée fracassante d’un homme nu, hurlant et tapageant à tout va. Dire que Pinocchio est bruissant, c’est encore un doux euphémisme ! Hélas, ce jeu assourdissant et confus sera emprunté par l’ensemble des comédiens jusqu’à la fin de la pièce. Jamais la narration ne parvient à nous retenir, tant les excès sont légion, tant l’expression est éclatée. Tout finit par imploser en une cacophonie peu supportable sur la longueur.
On regrette amèrement que le texte, riche en formulations piquantes, ne puisse être délivré avec la finesse des premières scènes. Peut-être est-ce le danger inhérent au style chargé et fleuri : vouloir à tout prix reproduire la véhémence des mots au point de les noyer complètement sous une couche d’extravagances sans relief. Il y a pourtant une promesse délicate et métaphorique qui se cache au coeur de ce Pinocchio, dont la forme dramatique, malencontreusement inaudible, empêche toute appréciation. Quel potentiel ! Quelle déception !