Orphelin très jeune, François-Jean Lefebvre (dit le chevalier de La Barre) a été élevé par sa cousine Anne-Marguerite Feydeau. Cette abbesse regrette que son protégé se laisse séduire par Diderot, Rousseau et surtout Voltaire. Mais, tout en restant une catholique convaincue, elle s’intéresse aux idées nouvelles. François-Jean apprécie beaucoup cette cousine curieuse, dynamique et généreuse. Récemment elle a recueilli Marguerite Becquin, une jeune fille qui fuyait son tuteur Nicolas Duval. Appâté par sa dot, celui-ci voulait l’obliger à épouser son fils. Profitant de son ascendant sur le seigneur de Belleval, l’abbesse le convainc aisément de marier son fils à Marguerite. Lorsque Duval apprend ce projet, il s’y oppose et se fait rabrouer par de Belleval : un jeune noble est un meilleur parti que le fils d’un roturier. Sous l’humiliation, Duval blêmit et se retire en lançant des menaces.
Convoquée par l’évêque d’Amiens, l’abbesse s’entend reprocher les frasques impies de son cousin. Celui-ci réfute toutes les accusations. Elle lui fait confiance, mais découvre qu’il est l’amant de Marguerite. En surprenant cette liaison, de Belleval se sent trahi et change de camp. Chargé de mener l’enquête sur les actes de profanation à Abbeville, l’assesseur criminel Duval tient sa vengeance. Il fait arrêter François-Jean et en s’appuyant sur des témoignages imprécis ou suspects, il prouvera que le "coupable" mérite la peine capitale. Durant ce simulacre d’instruction, il joue avec l’accusé comme un chat avec une souris et se régale du désarroi de l’abbesse aux abois.
Pour sauver son cousin, celle-ci relance des membres influents de sa famille. Elle demande même audience au roi Louis XV. En vain. De plus en plus remise en question par les coups de boutoir des philosophes, la monarchie absolue s’appuie sur l’Eglise, pour affirmer son autorité. Il faut un exemple spectaculaire. Aussi, malgré l’appel à la clémence de l’évêque d’Amiens, le 1er juillet 1766, le chevalier de La Barre fut torturé, puis décapité et son corps fut brûlé, un ouvrage de Voltaire cloué sur la poitrine. Cette exploitation monstrueuse du blasphème révolte les deux femmes qui l’aimaient. Eprise de justice, l’abbesse s’est sentie abandonnée et impuissante face à la collusion de l’Eglise et de l’Etat. Marguerite était parfois heurtée par la liberté de penser et les propos audacieux de François-Jean. Sa mise à mort est un électrochoc. Comment croire en un dieu qui tolère de telles atrocités ?
Dirigés avec précision par Michel de Warzée, les comédiens donnent à ce drame une intensité croissante. Incarnant subtilement le personnage moteur, Stéphanie Moriau dévoile la complexité de l’abbesse de Willancourt. Sans dot, elle est entrée dans les ordres, mais n’avait pas la vocation. La religieuse n’a pas étouffé la femme. Elle porte une cornette mais peste contre son inconfort. Cependant elle assume son rôle avec autorité et bienveillance. Déçue par la duplicité de ses protégés, elle est pourtant prête à leur pardonner, en les mariant. Pour arracher son cousin à la mort, elle se bat avec l’âpreté d’une mère. Une femme qui s’efforce d’être juste dans une société d’hypocrites. Société refusée par les amoureux. Insouciant, cultivé, frondeur, François-Jean (Jules Churin) est aussi un jeune homme digne, qui ne se soumet pas à son tortionnaire. On ressent la même sincérité, quand Marguerite ( Pénélope Guimas) passe de la retenue à la colère déchaînée. Pascal Racan fait de Duval un monstre froid, qui soigne avec délectation sa blessure d’orgueil.
Ce spectacle émouvant nous invite à prendre du recul. Toutes les religions monothéistes ont à leur actif des crimes justifiés par la condamnation du blasphème. Il a heureusement disparu du Code pénal en 1881. On continue, hélas, à proférer des menaces et à assassiner des innocents, au nom de principes religieux.
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