Ce roman est un bonheur à différents titres, qui correspondent à autant de lectures qu’Isabelle Jarry nous invite à lui donner… Le roman met en scène une narratrice, Ariane, dont le prénom n’est pas innocent : elle déroulera au long du récit le fil qui lui permettra, à la dernière page, de saisir le sens des événements qui surviennent dans cette « Traversée du désert ».
Elle se laisse convaincre par son vieil ami Gabriel Barthomieux (dont le modèle est Théodore Monod auquel Isabelle Jarry a consacré plusieurs ouvrages) de raconter la tragique expédition d’un certain Alexander Laing qui en 1826 fur le premier européen à entrer dans la ville mythique de Tombouctou… « Bien sûr, une telle expédition ne peut se raconter que sous la forme d’un roman », lui précise-t-il.
« La traversée du désert » est le roman de ce roman…Comment raconter la vérité de ce major écossais parti dans le désert, au lendemain de son mariage, à la recherche de l’embouchure du Niger ? Comment aborder les rivages intimes de ce personnage sans le ré-inventer ? Comment empêcher le personnage d’échapper au romancier ?
Ainsi naîtra le récit d’Ariane, histoire qui emmêle pour l’enchantement du lecteur, les récits des différents protagonistes dans les déserts sahariens, à Rome ou à Paris…Le roman aborde, en filigrane, sans lourdeur (ce n’est pas un essai !) des interrogations passionnantes sur l’art et la science, l’Histoire et les histoires, la fiction et la réalité… « La traversée du désert » donne aussi l’occasion à Isabelle Jarry de rendre un magnifique hommage à Giordano Bruno, condamné par l’Inquisition après huit ans de procès à être brûlé vif. « Par dessus tout (il) témoignait de la liberté nécessaire à l’esprit humain pour se déployer et s’épanouir. »
Ce roman est une exploration magnifique de ce qui fait le romanesque… cette exploration de l’âme humaine, cette interrogation constante sur ce qui constitue un être, sur ce qui motive ses choix, mais aussi cette absence de réponse, ce vide d’une seule réponse… C’est un très beau livre sur la création, sur la disponibilité à l’autre, sur la nécessaire et inlassable curiosité de l’artiste pour la complexité des choses, ce chaos à partir duquel le romancier propose un ordonnancement plausible…Qu’il soit vrai ou pas, peu importe…c’est, comme dans la traversée du désert, il ne faut pas s’arrêter aux questions, mais « porter le regard plus loin, sur les régions de l’âme où d’ordinaire on ne s’aventure pas, faute d’arrêt du mouvement, faute également de suspension du temps… » .
A lire ! Toutes affaires cessantes.
© Edmond Morrel
Isabelle Jarry sur le site des Editions Stock