Lors de ce dialogue poétique entre le patrimoine culturel et la création contemporaine sept thèmes sont abordés et font voyager le visiteur à travers les siècles pour renouer avec la riche civilisation hellénique, berceau de notre civilisation européenne. L’exposition illustre l’interaction entre la nature, la culture, l’identité, l’aventure, le commerce, l’immigration, la politique, la religion et la mobilité sous toutes ses formes. Elle comprend une petite centaine d’œuvres et d’objets historiques (sculptures en bronze et en marbre, poteries…) provenant de 29 musées grecs et datant de l’art cycladique (3 000 av. J.-C.) jusqu’à l’époque gréco-romaine, en passant par les périodes minoenne, mycénienne, archaïque et classique.
Un voyage à travers le temps
On circule lentement dans cette exposition faite d’étroits corridors comme si la scénographie voulait rappeler le labyrinthe légendaire du roi Minos construit par l’architecte Dédale. « La recherche du Minotaure au fond du labyrinthe est une épreuve initiatique visant à détruire le monstre bestial qui se cache en chacun de nous ? » Cette exposition va-t-elle déboucher sur une réflexion amenant tolérance, ouverture d’esprit et curiosité de la part des visiteurs ? On ressent en filigrane que la rencontre entre les peuples est indispensable et que l’unité européenne trouve son fondement dans la diversité. On ressent aussi peut-être chez tous ces jeunes artistes grecs la hantise d’un Minotaure néolibéral qui servirait "l’abolition de l’État, le démantèlement des structures sociales", tandis qu’ils essaient, chacun à leur niveau, de tracer un nouveau chemin vers la reprise économique et la reconstruction d’une société florissante.
La première salle s’appelle « Genèse » et comporte une subtile installation d’Aemilia Papafilippou qui met en scène un utérus mystérieux représentant l’origine de la vie : "Sea Testament - Chess Continuum ". La disposition singulière de fils lumineux fait penser inévitablement au fil conducteur d’Ariane qui, à travers la fluidité perpétuelle, serait comme un acte créatif éternel…une chaîne chromosomique ?
Ensuite, le thème de l’écologie est détaillé et l’accent est mis sur l’interaction entre l’homme et l’environnement, illustrée par des œuvres de l’époque cycladique et par celle de Katerina Kaloudi. Eprise de son pays, l’artiste voyage dans les Îles Cyclades et y photographie des détails de rochers et de pierres. Ses agrandissements, qui font penser à des forêts fossilisées, interrogent la relation complexe entre l’homme et la nature.
Une salle intitulée « Routes maritimes » plonge le visiteur dans l’époque minoenne et mycénienne. La mobilité des populations, des produits et des idées grâce aux routes maritimes y est centrale. C’est une problématique dont Stratis Vogiatzis est très proche. Ces quatre dernières années, il a voyagé en Grèce et à travers la Méditerranée en photographiant le monde dans lequel vivent les pêcheurs. Il y a découvert un univers particulier, où les hommes tentent de dompter la mer et où « les gens de la mer », comme disait Proust, tentent d’aller au-delà de leurs faiblesses.
La période archaïque est représentée par le mythe naval de l’Odyssée. La volonté d’explorer les mers, de trouver un nouveau monde et de commencer une nouvelle vie est née il y a des millénaires, mais les photos de Leonidas Toumpanos démontrent qu’elle est toujours d’actualité. Toumpanos a ainsi photographié, dans l’aéroport d’Athènes, des immigrés originaires du Pakistan, du Bangladesh et du Maroc résolus à abandonner leur vie en Grèce et à s’envoler pour le retour au pays natal. La légendaire Athènes, source de pouvoir et de richesse, est confrontée aux sculptures d’Alexandra Athanasiadis qui a travaillé des morceaux de bois, récupérés de naufrages et rongés par le sel, contrastant avec les torses en marbre de jadis. Ah les merveilleux chevaux !
Après le thème de « l’Hégémonie », celui de l’intégration politique et culturelle, la salle « Ecumène », est consacrée à la Macédoine et Alexandre le Grand. L’une des œuvres les plus frappantes est sans doute celle d’ Eftichis Patsourakis. L’artiste recrée l’image du monde en juxtaposant des paysages marins de peintres anonymes et en constituant ainsi un seul horizon. Sa création est une réflexion sur les concepts du collectivisme et du mélange interculturel. Dans l’Antiquité, les Grecs considéraient la Méditerranée comme un pont entre les peuples qui vivent sur son pourtour. A chaque escale, les artistes contemporains de cette exposition viennent compléter les perspectives historiques, jeter eux aussi un pont vers un passé commun que l’on tend de plus en plus à ignorer. Les thèmes tels que la mobilité, la migration, la communication et l’écologie sont omniprésents. Nikos Markou braque son objectif sur le navire échoué au large d’Eleusis.
Enfin, le visiteur retrouve toutes les périodes confondues dans la salle dédiée à la religion, aux rites et aux mythologies maritimes. Marios Spiliopoulos donne une version moderne des croyances des marins de Syros qui écrivaient des prières et des vœux dédiés au panthéon maritime sur les rochers de l’île avant de monter à bord. L’œuvre de Spiliopoulos mélange des inscriptions antiques avec des inscriptions byzantines du 13ème siècle reprenant différentes façons de nommer Dieu devant l’image de l’infinité de la mer lorsqu’il contemple le Divin.
A l’heure de l’asphyxie lente mais inexorable de la culture humaniste et gréco-romaine dans les écoles de nos pays, il est fort utile d’aller se plonger dans cette exposition qui exalte ces pépites précieuses de notre civilisation parées d’un parfum d’éternité tandis que des artistes modernes courageux offrent leur sensibilité et jettent une lumière à la fois nostalgique et heureuse sur une culture qui a fait la nôtre. L’héritage gréco-romain n’est il pas la matrice de toutes les langues et littératures de nos contrées européennes ? ... Et retour à la salle 1, nommée « Genèse » pour un éternel recommencement.Dominique-Hélène Lemaire