Lundi 8 novembre 2021, par Didier Béclard

La danse au hasard des cartes

« Arcane Majeur (How To Make Decision) » est basé sur le Tarot de Marseille où chaque carte correspond à une symbolique particulière transformée ici en mouvement chorégraphique. Une performance impressionnante de Maria Eugenia Lopez.

Pendant que le public prend place (les chaussures emballées dans des chaussons de papier), une femme en tablier noir fait choisir des cartes aux spectateurs. Elle les pose au sol parcouru par un fil bleu qui zigzag sur le plateau. A chaque fois, elle énonce les caractéristiques de la carte : air, terre, mer, mutation ou blanc, air, séduction, out. Chaque combinaison est affichée sur un tableau.
Elle se débarrasse du tablier noir dévoilant son top à grosses paillettes, défait ses cheveux, étale du blanc sur son visage puis du carmin sur son torse, son cou, ses bras. Elle déambule sur le plateau, fixant les spectateurs. S’arrêtant sur une carte, elle entame une sarabande frénétique, comme si elle était possédée, avant de retrouver le sourire. Plus loin, elle s’écroule au sol et semble prise de convulsions. De carte en carte, de station en station, la danseuse élabore un itinéraire qu’elle n’a pas choisi, que personne n’a choisi, sauf le tirage des cartes.
« Arcane Majeur (How To Make Decision) » créé par Oriane Varak et Guillaume Le Boisselier (qui assure également la partie musicale) est basé sur le Tarot de Marseille, un jeu de 78 cartes à enseignes (ou couleurs) « latines » dites Arcanes. Il y a 56 Arcanes mineurs et 22 majeurs dont chacune correspond à une symbolique particulière. Oriane Varak s’en inspire pour créer un langage chorégraphique qui sous-tend une performance : 22 cartes, 22 mouvements, à chaque carte correspond un état d’esprit ou un état de corps comme une contrainte formelle qui influence la danse, la musique et la lumière. Il n’y a pas deux représentations identiques, ce sont les cartes, et donc le hasard, qui décident.
Diplômée de l’Ecole Nationale de Danse de Caracas, Maria Eugenia Lopez est d’abord interprète au Venezuela pour la Compagnie Taller de Danse, avant de s’installer en France en 2001 puis en Belgique. En 2015 elle crée son premier solo « Versions », puis le magnifique « Piel », duo intime qui interroge le besoin du touché bridé par les codes de la société, en 2018 soit bien avant l’invention du concept de « distanciation sociale) et « Nothingness », sur notre rapport au vide, à la non-existence, créé l’an dernier.
Dans ses créations comme dans son interprétation, Maria Eugenia Lopez est époustouflante d’énergie et de précision. La maîtrise du corps est parfaite pour assurer des jeux d’équilibre, de ruptures, et de multiples changements d’états et d’émotions. Et la pièce se construit en permanence sur le point d’équilibre entre la danse, la musique et la lumière.
La courte pièce s’interroge sur ce que représentent nos prises de décisions dans une société dominée par les algorithmes, sur la possibilité de sortir des cadres rationnels pour entrer dans un système de l’ordre du sensible et du symbolique. « Le futur ne se prédit pas, il se construit. », estime la chorégraphe. Le tarot ne dit pas ce que sera le futur mais sert le libre-arbitre qui reste le dernier territoire du choix, de la prise de décision. Dans une société qui semble vouloir gérer le futur en le réduisant à une suite d’algorithmes, il est salutaire qu’il relève de notre libre arbitre, de notre décision de nous soumettre (ou pas) à ces algorithmes.

Didier Béclard

« Arcane Majeur (How To Make Decision) », concept : Oriane Varak et Guillaume Le Boisselier, notch Company, Création & interprétation Maria Eugenia Lopez, mardi 9 et mercredi 10 novembre à 19h, au Théâtre Marni à Bruxelles, 02/639.09.82, www.theatremarni.com.