Dans une petite cabane, à l’arrière de la scène, Ludovic et Mathylde discutent avec deux comédiens, revêtus de combinaisons en latex, les représentant en septuagénaires. Tout au long de la pièce, les quadras seront confrontés à ces projections d’eux-mêmes. Connexion entre deux temporalités. Les rêves d’enfant, les tartines au gouda, Saint-Nicolas défendu par Terminator cohabitent avec l’alambic, distillateur de bière artisanale, et les chips qui poussent sur les arbres. Pas de fil conducteur, mais un méli-mélo d’images nostalgiques ou stressantes. Blanche-Neige se moque de la conteuse. Superman rampe péniblement, pour pouvoir laper l’eau d’une écuelle. Pendant que Ludovic se bat avec sa guitare, Mathylde récite le chapelet des peurs qui l’habitent.
Pour nous introduire dans cette fantasmagorie, les auteurs nous intriguent : une forêt insolite, un sanglier planqué sous une table démesurée... "un décor assez onirique, comme si nous étions dans un cerveau, dans une réalité mouvante, traversée d’idées, de fantasmes, d’angoisses." Ils font appel aussi à la mémoire musicale (Purcell, Michel Sardou, The Cure), à des jeux de lumière et à des objets bricolés, comme le costume de Terminator.
Dans notre société cynique, dominée par l’obsession du profit et menacée par l’apocalypse, les auteurs refusent de céder à la sinistrose : "Nous voulons croire que, dans trente ans, nous aurons conservé intactes nos facultés d’émerveillement et d’invention." C’est cet espoir qui les pousse à déguiser de jeunes acteurs, pour les représenter à septante ans. Pas de seniors plus ou moins dégradés, mais des corps vigoureux. Marqués par la vieillesse, ils sont animés par la pulsion de vie. Cet appétit incite ces "jeunes vieillis" à se rebeller : "On n’est peut-être que des projections, mais eux ne sont que des souvenirs, et les souvenirs, ça se transforme." Dans trente ans, Ludovic Barth et Mathylde Demarez, adeptes d’un théâtre de laboratoire, tritureront les traces de ces métamorphoses pour créer "Je me néglige".
Beaucoup d’imagination, un jeu convaincant et pourtant un spectacle décevant. On se sent concernés par les questions essentielles qui l’inspirent et l’on aimerait que les auteurs nous aident à partager leurs réflexions. Ils s’enferment malheureusement dans LEURS failles, LEURS espoirs et LEURS choix artistiques, en marginalisant le spectateur. Devant ce défilé d’images hétéroclites, on compte les coups. On apprécie l’intérêt de certaines mises en abîme, l’originalité d’une métaphore ou d’une loufoquerie, l’impact d’une séquence dramatique. On subit des baisses de rythme. On regrette la longueur de l’intervention du Barbapapa (marchand de souvenirs) ou de la scène de "L’Avare". On bute sur des rencontres énigmatiques. Bref, "Si tu me survis" suscite frustration et perplexité. Des sentiments traduits par la discrétion des applaudissements.