Jean-Marie se souvient étonnamment bien de sa naissance. D’ailleurs, il nous la raconte lui-même. C’était en 1944 dans la cave de la maison familiale. Depuis ce jour jusqu’à la mort de ses parents, il se remémore les moments importants de sa jeunesse : sa mère constamment aux fourneaux, son quartier, Saint-Nicolas, Elvis, les seins de Gina Lollobrigida,… La figure du père, ouvrier bourru mais affectueux, hante particulièrement cette succession de souvenirs plus ou moins heureux.
L’histoire nous replonge aussi dans une époque, celle de la région liégeoise des années soixante. C’est le temps des aciéries encore vaillantes et de la toute puissante société Cockerill, quand on tuait le cochon pour faire du boudin et que la conquête spatiale faisait encore rêver. Le récit ne sombre jamais pour autant dans la chronique d’un passé belgo-belge. À travers cette tranche de vie au « pays de l’usine », c’est avant tout une histoire universelle d’enfance qui nous est contée.
La grande réussite de Philippe Jeusette et de Virginie Thirion c’est d’avoir su donner corps à ce monologue en multipliant les personnages et les ambiances. La mise en scène très habile permet de passer facilement de la cuisine familiale à la rue, en passant par le pavillon du Spoutnik lors de l’exposition universelle de Bruxelles. Le texte s’appuie sur des images, des vieilles photos et des vidéos de famille, pour donner plus de consistance à l’enfance de Jean-Marie.
La pièce repose ouvertement sur la performance de Philippe Jeusette. Son interprétation sensible et chaleureuse sonne toujours juste et rend chacun de ses personnages irrésistiblement attachant, à tel point qu’on a le cœur serré chaque fois qu’il arrive malheur à l’un d’entre eux. Les interventions de Virginie Thirion et Eric Ronsse, plus discrètes, amènent des respirations et servent admirablement l’ensemble. Les talents de musicien d’Eric Ronsse contribuent d’ailleurs beaucoup à l’atmosphère de certaines scènes. Cette petite touche de musique « live » permet quelques intermèdes plus que bienvenus, que ce soit entre les scènes ou lors des moments chantés par les comédiens (il faut entendre Philippe Jeusette chanter du Elvis).
« J’habitais une maison sans grâce… » est un spectacle à la fois drôle et poignant. Philippe Jeusette prend manifestement beaucoup de plaisir à interpréter l’histoire touchante de Jean-Marie Piemme. Et le plaisir est partagé.
Thomas Dechamps