« L’empreinte du vertige » est un texte que tu as écrit dans quelle intention ?
Angèle Baux Godard : Le thème c’est la résilience, comment se remettre d’un traumatisme, d’un choc, comment la vie reprend le dessus. Plus particulièrement dans l’empreinte du vertige, c’est l’histoire d’une femme qui en sortant du travail percute, en pleine ville, une panthère noire. Et de ce choc incongru, elle décide de ne pas rentrer chez elle. Elle va parcourir toute son adolescence et une partie de son enfance à travers une pathologie féminine qui s’appelle « le vaginisme » qui est une incapacité à être pénétrée. Il s’agit d’une contraction des muscles du vagin qui provoque une douleur pendant la pénétration et qui pour moi a été la symbolique de l’incapacité à rencontrer l’autre totalement. Au long de ce voyage, elle est accompagnée par un ami imaginaire, un musicien.
Qu’est-ce qui t’a donné envie d’écrire sur le vaginisme (et à ce propos tu parles de honte par rapport à ce sujet) ?
Angèle : Cette pathologie est très répandue et on n’en parle pas beaucoup. Enormément de femme en sont atteintes et souvent, elles ne savent pas que cela porte un nom, que cela se soigne et que ce n’est pas grave. D’où l’impulsion d’écrire à ce sujet. Concernant la honte, de manière sous-jacente, la place du corps par rapport à la normalité, à la sexualité, au fait de prendre sa place, c’est un sentiment courant encore aujourd’hui. Il y a des femmes qui pensent que ce n’est pas normal, que c’est de leur faute.
L’héroïne de la pièce, après le choc avec la panthère, ne rentre pas chez elle alors même qu’elle devrait fêter l’anniversaire de sa fille. Une prise de conscience liée à cet événement ?
Angèle : C’est à double sens évidemment. J’ai travaillé l’écriture en suivant des chemins parallèles sur des résonances. Est-ce le choc qui provoque la prise de conscience ? Est-ce la prise de conscience qui provoque le choc ?
Je ne donne pas de réponse et le fait d’avoir évoqué un anniversaire précis, celui de sa fille, cela vient de lectures qui montrent que souvent le premier départ de chez les parents est un moment où quelque chose se cristallise. C’est pareil pour les mères à la naissance de leur propre fille ou à un âge précis de leur propre fille. J’avais envie de faire coïncider cet anniversaire et ce départ dans la pièce. L’anniversaire de sa fille est un moment clef, un peu le miroir de ce qu’elle a été en tant que femme.
Pourquoi ce choix du symbole de la panthère noire ?
Angèle : J’ai toujours du mal à répondre à cette question. Cela s’est fait instinctivement. Mais je pense qu’il y un inconscient collectif sur les animaux. C’est après coup que je suis allée voir quelles étaient les symboliques de la panthère et j’ai pris conscience de ses représentations en tant que prédateur mais aussi en tant que figure protectrice (quand on pense à Moogly par exemple). Pour moi, c’est un espace de projection possible et d’ailleurs avec le metteur en scène du spectacle Clément Goethals, on s’est posé la question de savoir s’il fallait la représenter, comment la faire apparaitre sur scène ou n’était-ce qu’un espace de projection pour les autres. En écrivant la pièce, tout se croisait, le fait que la panthère c’est elle-même mais c’est aussi le danger, l’inconnu, et c’est aussi le rapport à sa propre animalité et son instinct. Tout ce qui traverse le personnage vient se cristalliser dans cet animal.
La musique en live était-elle déjà un support au moment de l’écriture ?
Angèle : Dans le texte, il y avait un personnage qui s’appelle l’Autre, l’ami imaginaire d’Élisa qui joue de la batterie. Mais au plateau, tout ce qui s’est créé avec cette batterie a été le travail de Clément. Des choix ont été fait en direct bien que cela reste de l’ordre du fictionnel dans la pièce. J’ai toujours eu le désir, - et avec Clément on a de suite été d’accord là-dessus -, de faire en sorte que l’instrument soit un élément suggestif sur le plateau. Au début, il m’a dit : « Qu’a-t-on besoin de plus qu’une comédienne et d’un verre d’eau ? ». À partir de là, on a créé ce spectacle où la batterie est un peu ce verre d’eau, toujours dans la suggestion, en se demandant : " comment cette batterie peut-elle se balader sur le plateau et faire travailler l’imaginaire du spectateur ? Le spectateur y projette ce qu’il veut." Clément est aussi le scénographe du spectacle et la batterie a été notre aire de jeu.
Quel est le rôle exact de l’Autre ?
Angèle : Quand j’ai commencé à écrire la pièce, je l’ai appelé l’Autre car pour moi la réponse à la question « Qu’est-ce qui fait qu’on continue face à des traumatismes ? », c’est l’altérité. J’avais envie de la représenter sur le plateau et l’Autre, c’est autant cet ami imaginaire que l’altérité de manière plus vaste, c’est le monde extérieur, ce qui confronte, autant les intempéries externes que la part inconnue d’elle-même, et des personnages précis comme « l’amoureux » ou « l’inconnu » et c’est aussi cette zone où on peut se projeter car nous sommes tous les miroirs les uns des autres. Il fallait que le personnage d’Élisa soit confronté à autre chose mais aussi à un miroir. J’ai choisi un metteur en scène masculin et un partenaire masculin sur le plateau car pour moi, c’est dans le dialogue homme/femme qu’on avance (même s’il est important de parler entre femmes et entre hommes), je trouve que c’est dans le partage et dans la circulation que les choses évoluent et dans la pièce, je parle de manière sous-jacente de plusieurs modèles masculins auxquels je voulais rendre hommage, à des hommes dont on parle peu et qui nous soutiennent... et qui sont curieux... et qui s’intéressent.
Propos recueillis par Palmina Di Meo