Sur la piste de danse, une jeune fille se laisse emporter par la musique. Un jeune homme distrait la heurte. Touchée au mollet, elle se repose sur un divan. Le maladroit la rejoint. Sourires, amorce d’une idylle... Face au public, ils s’attaquent aux clichés hommes-femmes. Elle aimerait qu’il lui susurre des phrases tendres. Pourquoi doit-on toujours plaquer des mots sur les sentiments ? Elle voudrait qu’il l’emporte sur son beau cheval blanc. Où le trouver ? Elle proteste. Bien sûr que les princes charmants n’existent pas. On le serine aux fillettes, dès qu’elles ont six ans. Mais elle a besoin de rêver. Ces divergences les poussent à faire un break, le temps de réfléchir... Quatre autres tableaux illustrent l’incompréhension mutuelle. Des personnages, enfermés dans leurs certitudes, nous font rire de leur aveuglement ou de leurs supercheries.
Seule avec sa musique, une fille attend le bus. L’homme qui l’a interpellée se réjouit de la voir retirer ses écouteurs. On est ultraconnectés et on s’ignore ! Elle a de la chance d’être tombée sur lui, quelqu’un de bien, qui aime parler. Elle aurait pu rencontrer des sales types, des obsédés "qui baiseraient avec un mort". Révélations suspectes, comportement de plus en plus équivoque... L’homme semble inconscient de l’angoisse qui saisit son interlocutrice. On observe la même incapacité à comprendre ce que l’autre ressent, chez une femme cultivée. Son compagnon, dont elle n’arrive pas à se débarrasser, alors qu’elle ne l’a jamais aimé, lui reproche d’être une intello castratrice. Excédé par des expressions du genre "prémices de la philanthropie", il vomit ce vocabulaire qui le dépasse. Elle s’en servira avec délectation, pour l’écraser de son mépris.
Afin d’occulter l’échec du couple, certains se réfugient dans des fantasmes. Tous les mardis et jeudis soir, une femme se rend dans une cabine téléphonique, décroche et écoute une voix réconfortante : "Ta journée a été bonne ? Puisque tu ne me réponds pas, elle l’a été. Qui ne dit mot consent..." Elle laisse parfois échapper un petit rire, mais ne parle pas. Déclenché par une erreur de numéro, ce rituel est un rayon de soleil dans sa vie conjugale éteinte. Après 12 ans, 2 mois et 4 jours, un autre couple entame une mauvaise nuit. "Pourquoi tu me colles tes pieds glacés ?" se plaint le mari. La femme refuse d’éteindre la lumière : elle a besoin de parler ou plutôt de revivre, avec sa complicité, l’orgasme provoqué par la simple vision d’un jeune violoniste.
Cette succession de ratages est très drôle. Avec une lucidité impitoyable, Philippe Beheydt traque des personnages piégés par leur égocentrisme. Ses dialogues nerveux et percutants soutiennent des progressions bien contrôlées et offrent aux acteurs quelques morceaux de bravoure. Dans la peau d’un baratineur ambigu, Emmanuel De Candido souffle le chaud et le froid, avec une candeur désarmante. Et Laura Fautré jubile en distillant un chapelet d’injures haut de gamme. Les comédiens passent très aisément d’un personnage à l’autre. Dirigés avec précision par Olivier Lenel, ils ne forcent pas la note. Certaines liaisons gagneraient à être resserrées. Cependant musiques efficaces et scènes muettes permettent aux tableaux de s’enchaîner souplement. Philippe Beheydt est un auteur très doué : ses scènes de ménage ont un parfum particulier.