- MARIE CAVALIER-BAZAN et MATHILDE GESLIN sont actuellement à l’affiche du théâtre des Martyrs.
Elles sont comédiennes sur le spectacle DON JUAN, VISIT NOW ! - une création du théâtre en liberté sous la houlette de Pascal Crochet qui questionne les rapports de domination par le biais de la séduction sans entrer dans le militantisme.
Marie Cavalier-Bazan a été formée à l’Esact à Liège. « Nommer le monde il en a besoin », voilà une phrase qui l’a menée à cette école. « Ce qui me motive, c’est de chercher ce qui se joue dans les rapports quotidiens et parfois dans les grands enjeux ». Elle travaille également au sein d’un collectif de rapt « Gender Panik ».
Marie, as-tu pu exploiter les questions qui t’intéressent dans le spectacle « Don Juan, visit now ! ?
Marie Cavailier-Bazan : Oui car nous avons eu des moments de partage le matin. Et pour moi, dès le 4ème, 5ème jour, quand je me rendais compte que l’on ne parlait ni d’intersectionnalité alors que l’on parle de féminisme, je me disais : « Est-on conscient que si on dit juste « féminisme », on parle d’un féminisme blanc et donc qui s’est appuyé sur l’oppression d’autres pour avoir des droits ? C’est un féminisme dans lequel je ne me reconnais pas du tout, étant la seule non blanche du spectacle.
Effectivement je ne suis pas venue comme observatrice mais comme actrice créatrice et c’est aussi dans cette optique que Pascal Crochet nous a choisies. Dans une création, c’est le moment d’apporter sa richesse non seulement physique, verbale mais aussi dans le discours, les livres qui marquent notre parcours pour en faire des ponts, tisser, mettre en relation et voir où cela coince et où c’est fertile. Voir ce qui nous donne de la force.
Dans le projet, je suis la seule personne non blanche et je me disais : « C’est dommage que ce soit souvent la personne homosexuelle qui doit venir avec ces questions-là ou la femme qui doit venir avec le féminisme. Je suis allée à la libraire Pépites Blues à Matongé et je suis tombée sur le livre de Bell Hooks, décédée le 15 décembre dernier, « De la marge au centre » dans la continuité de sa réflexion sur le féminisme afro-américin. J’ai trente ans et c’est la première fois que je réalise à quel point il est important de pouvoir donner de son temps en dehors du travail tarifé pour alphabétiser, transmettre des textes. Ce spectacle m’a permis de me dire « pour ton bien, pour le bien du projet, tu ne lâches plus le livre avec tous les soirs une demi-heure de lecture ».
Mathilde Geslin, diplômée du Conservatoire de Bruxelles, s’occupe, quant à elle, aussi de promotion pour théâtre Jeune public.
« La question des rapports de domination en général m’a été introduite à la sortie de l’école par ma rencontre avec des personnes issues du milieu du militantisme politisé et cette question s’insinue de plus en plus dans mes recherches théâtrales. Je pense que la culture a une vraie portée politique, d’ouverture vers le monde et de réflexion. Ce travail avec Pascal Crochet m’a donc paru hyper intéressant à ce niveau-là car ce n’est pas toujours évident à faire dans les projets qui nous accueillent. Ici, c’est justement la question centrale, ce qui est génial. Avec une amie, on a monté une asbl, on y travaille avec de jeunes enfants sur cette question qui s’avère cruciale dans l’enfance. J’ai aussi une compagnie « Un cœur soufflé » que j’ai créé avec deux autres comédiennes. Ici, nous avons eu l’opportunité de faire des propositions jusqu’à la veille de la première. »
Au point de vue personnel que vous a apporté ce travail ?
Mathilde : « Je ne suis rendu compte en travaillant collectivement et dans le contexte du covid que beaucoup de gens ont réfléchi intensément aux rapports de domination et à l’intersectionnalité, à la lutte des classes... Le fait de lire, cela permet de vivre différemment les rapports au monde et je le constate dans ma vie... Quand je sors et que je vois des rapports injustes, je peux mettre des mots dessus, cela ouvre des horizons très puissants. »
Une lecture qui t’a particulièrement touché ?
Mathilde : « Judith Butler qui est une philosophe juive-américaine et qui a travaillé sur la construction sociale du genre, sur le fait dé-nommer des structures sexuelles dans lesquelles on ne peut pas se retrouver. Elle dit nous nous défaisons les uns des autres parce que nous appartenons les uns aux autres et je me rends compte de l’importance d’avoir un regard différent sur ces structures établies pour une plus grande viabilité. »
- CLEMENTINE COUTANT à l’affiche de ETHER/AFTER, dernière création de Armel Roussel aux Tanneurs. Une troupe à la dérive après le désistement du metteur en scène et de l’acteur principal. Spectacle qui reflète les difficultés de création liées à la crise su covid. Une troupe qui devait répéter « Baal » de Bertolt Brecht finira par produire tout autre chose. Peut-on rester créatif sans un leader ?
Clémentine, comment s’est passé ce travail avec Armel Roussel dans les conditions imposées par le covid ?
Clémentine Coutant : « Déjà, il y a eu pas mal de répétitions annulées de même qu’un voyage en Inde. Se retrouver entre nous dans une salle de répétitions et une salle de spectacle où il n’y aurait pas de spectateurs... comment trouver du sens pour l’art. Mais comme Armel avait décidé de faire un travail sur des acteurs, on passait des entretiens individuels sur de vraies tranches de vie. Il s’intéressait à la manière dont on voyait les choses. Pour moi, le contexte était particulier car je n’avais encore jamais joué dans un spectacle. Sortant tout juste de l’école, je me suis retrouvée... dans une école que nous étions en train de squatter. On a pu parler par exemple à l’intérieur du spectacle. Comment se divertir en répétant un spectacle alors que beaucoup de gens étaient lésés par la situation. Les premières rencontres ont eu lieu en octobre 2019, puis la présentation de petites formes et puis des répétitions sporadiques. L’annulation du voyage en Inde, c’est tout ce qui a nourri le spectacle aussi. »
- LUCIE LEFAUCONNIER, à l’affiche du Boson avec une création : « Ce qu’il reste de Barbe bleue » suite à une résidence au Théâtre.
j’essaye de la tenir. De ne jamais ployer.
Je n’ai pas changé mes habitudes.
Je n’ai pas souhaité mourir.
Je passe devant les lieux où tu travailles et je ne ralentis pas.
Je me détache les cheveux.
Je regarde les gens dans les yeux et je leur dis ce que je pense.
Je raconte. J’essaie.
Je parle. Je recommence.”
C’est un poème extrait du recueil « Barbe Bleue", une recomposition post-traumatique à la suite d’un viol par la musique, le jeu, et la poésie... D’après le recueil de poèmes de Lucie Lefauconnier.
Lucie Lefauconnier : « C‘est un travail que j’ai commencé il y a quelques années en 2017, quand j’ai écrit le recueil pour une petite maison d’édition. Après une première lecture que j’avais mise en scène pour lancer le recueil avec un acteur et une actrice, j’ai eu l’occasion de présenter le recueil à une asbl qui s’appelle « Le monde selon les femmes », ce qui m’a permis de faire des rencontres qui ont étoffé l’écriture. A la base, cela partait d’une histoire un peu personnelle qui a évolué avec les récits que j’ai entendus autour de moi. C’est donc aussi un travail de solidarité et de libération de la parole entre nous. Il s’agit de prendre du recul sur un contexte social aussi et au-delà du fait divers, il y a les petites choses qui nous construisent. Je n’ai mis le mot viol au flayer qu’au dernier moment pour nommer le monstre mais je préfère l’éviter le plus possible car la définition varie très fort en fonction des gens, des histoires...
Je suis sur scène avec Zoé Coutentin. C’est elle qui dit les poèmes et je l’accompagne musicalement. Et cela me va très bien que les mots soient dans sa bouche. »
La poésie et la musique, cela se répond ?
Lucie : « Mon travail principal, c’est l’écriture et cela se décline à travers plusieurs matières : le théâtre, la poésie et la musique parce que j’écris des chansons principalement, que je chante dans un groupe qui s’appelle LOU K. »
Sa résidence d’écriture au Boson a permis à Lucie Lefauconnier de nourrir ses poèmes de matières théâtrales.
Lucie : « Il fallait aussi mettre en confiance l’actrice qui devait jouer de la poésie car la direction d’actrice est ici particulière. Comme je suis un peu scénographe, on a imaginé des objets qui soient des interlocuteurs. Les poèmes deviennent des échos à ce qui se passe au plateau. Et ma présence sur scène rend l’expérience excitante pour moi. »
Propos recueillis par Palmina Di Meo