Dans sa maison familiale, nichée au coeur d’une forêt ardennaise, Karim (Serge Demoulin) voit débarquer les amis qu’il a invités à fêter ses cinquante ans. Ils se connaissent depuis toujours et parlent sans filtre. Chargé des courses, J.B. (Vincent Lecuyer) se fait traiter d’incapable et de pingre par sa femme Annabelle (Isabelle Darras) et Cécile (Daphné D’Heur), l’épouse de Karim. Cependant ces railleries ne gâchent pas le plaisir des retrouvailles. On attend encore Hélène (France Bastoen) et Thierry (Jérémie Zagba), son nouveau compagnon, plus jeune qu’elle et... noir. Un détail qui déclenche des plaisanteries redondantes sur sa virilité. Sur le pas de la porte, Thierry les encaisse silencieusement. Hélène le réconforte par un baiser langoureux. Les tournées de vin blanc détendent l’atmosphère. On stoppe brutalement tout verbiage ennuyeux, en levant le bras. Ce rite, comme les insinuations provocantes et les gestes intimes, souligne la cohésion du groupe.
Comblée par cette soirée, dont elle a été la vedette, Hélène n’a pas remarqué le mutisme de son compagnon. Dans le secret de leur chambre, celui-ci lui confie sa désillusion. Il n’aurait pas dû l’accompagner. A cause des relents racistes, il se sent une pièce rapportée. Un peu saoule, Hélène tente de le rassurer. Mais le lendemain matin, Thierry refuse de participer à la journée "cubi-kayak". Au moment où J.B. lui propose de soigner son mal de tête, par des cachets miraculeux, apparaît une garde-chasse (Amel Benaïssa). Elle entame son enquête sur la mort d’un jeune migrant, dont on a retrouvé le cadavre près d’ici, cette nuit. Probablement victime d’un chauffard. Chacun compatit mais ne peut fournir d’indices. Dès que la policière s’est éclipsée, Thierry se sent obligé de parler et de diffuser le poison du doute. Cette nuit, en proie à une insomnie, il a vu Karim sortir sa voiture.
Une révélation qui isole "l’invité". Face à lui, un groupe farouchement solidaire. Ces citadins, dont les parents s’appréciaient, ont grandi ensemble et se sentent liés par un pacte de loyauté. J.B. veut à tout prix protéger la réputation de Karim. Cécile, c’est sa famille qu’elle défend. Tandis qu’Annabelle cherche à donner mauvaise conscience à Thierry et qu’Hélène s’en détache. Leurs comportements nous questionnent sur les limites de l’amitié, sur la perception de "l’autre". Dupés par la force du groupe, qui dilue la responsabilité et éteint les scrupules, les amis de Karim vont dériver vers le harcèlement.
La mise en scène s’efforce de fasciner le spectateur, pour qu’il ressente progressivement l’anxiété puis l’effroi qui saisissent Thierry. Elle y parvient grâce à la fluidité des enchaînements entre vidéos et jeu théâtral, à des lumières insolites et à des musiques angoissantes. Grâce aussi à l’ingénieuse mobilité des décors. En tournant autour du héros, cette maison semble le menacer. Nous ressentons la panique qui le gagne. Particulièrement, lorsqu’il doit chanter "Je te promets". Des cris d’amour dérisoires, un souvenir piétiné.
Ce thriller captivant, interprété par des comédiens complices, est une réussite. Les auteurs de "Je te promets" ont atteint leurs objectifs : nous faire peur et nous alerter. Ce n’est pas un hasard si leur pièce démarre sur des images du migrant pourchassé et de Thierry interrogé.
Photos : © Prunelle Rulens