Je crois que dehors c’est le printemps
« Elles sont en train de jouer chez des amis, je les emmènerai à l’école demain matin. Tu iras les chercher. C’était le 30 janvier 2011. Je ne les ai plus jamais vues ».
D’origine italienne, mariée, Irina vit en Suisse. Un jour, le père de ses filles jumelles de six ans décide de les emmener. Quelques jours plus tard, on retrouve le corps sans vie du père – il s’est suicidé – mais les fillettes sont portées disparues.
Si Gaia Saitta et Giorgio Corsetti s’emparent du fait divers dont la journaliste italienne Concita de Gregorio a tiré un livre poignant, c’est moins pour le détailler que pour regarder au-delà, pour capter le souffle de la résistance, l’éblouissement de la poésie de celle qui reste.
Dans une approche humaine, Gaia Saitta, seule en scène, invite des spectateur·ices à l’accompagner, à endosser un rôle discret sur le plateau, donnant ainsi corps à l’histoire, aux émotions d’Irina. Qu’i·els soient interpellé·es et/ou filmé·es en direct, i·els soulignent l’interprétation tout en pudeur de l’actrice et, par-delà, la puissance d’Irina. Puissante d’une attention à la vie. Puissante d’un droit au bonheur qu’elle doit se réapproprier. Car là est toute l’humanité, la beauté presque « scandaleuse » d’Irina : accepter d’être à nouveau touchée par l’amour.
Gaia Saitta est artiste associée au Théâtre National Wallonie-Bruxelles.
Création Studio Théâtre National Wallonie-Bruxelles
Coproduction Les Halles de Schaerbeek
Mercredi 23 novembre 2022,
par
Catherine Sokolowski
Une résilience exemplaire
Irina Lucidi n’a plus vu ses filles depuis le dimanche 30 janvier 2011. Leur père avait promis de les emmener à l’école le demain. En réalité, Alessia et Livia ont disparu et Mathias Schepp s’est suicidé le jeudi 3 février. Il a laissé une lettre, dans laquelle il précise qu’"Elles reposent désormais en paix, elles n’ont pas souffert". Les corps des petites n’ont jamais été retrouvés. Malgré la tristesse infinie d’Irina, confrontée à la mort de ses jumelles sans qu’elle puisse en faire le deuil, elle tombe amoureuse de Luis. La pièce, basée sur le livre de Concita De Gregorio qui a interviewé Irina, est avant tout l’histoire d’une résilience. Irina a pu retrouver le bonheur malgré ce drame. Gaia Saitta porte le rôle d’Irina avec énormément d’empathie. Un spectacle touchant sans être larmoyant.
Neuf spectateurs ont accepté d’intégrer la scène. Sporadiquement, Gaia les invite à lire une phrase. Le premier rang est aussi sollicité, comme ce monsieur choisi pour être Luis le temps d’une accolade. L’idée est d’intégrer le public dans le partage d’émotions.
Pas de décor mais une caméra qui permet à l’actrice de filmer ses invités en gros plan. A d’autres moments, les écrans reflètent des images en lien avec Irina et son parcours. Il y a aussi cette caméra située au fond d’un chariot, qui filme les actions de la comédienne à travers quelques centimètres d’eau.
Le drame s’est déroulé quelque part entre la Suisse, la France et l’Italie. Mathias Schepp, ingénieur, avait 43 ans et vivait en Italie. Irina avait bien eu un doute, avant la naissance des jumelles, lorsqu’ils avaient rencontré un jeune garçon mendiant dans la rue et qu’il n’avait montré aucune empathie. A part ça, rien. Jamais elle n’aurait pu anticiper cette issue tragique.
C’est avant tout l’investissement de Gaia Saitta, actrice italienne diplômée à Rome, qui fait de cette pièce une réussite. Lumineuse, empathique et chaleureuse, elle nous offre un récit très pudique de ce fait divers qui a secoué l’Italie. Pour l’actrice, c’est un « élan d’amour ». Alors qu’elle n’était pas encore mère lors de la conception du spectacle, elle a accouché en octobre. Son enfant est né le même jour et le même mois que les jumelles. Le destin s’en est mêlé. C’est avec énormément d’émotion que Gaia partage cette coïncidence avec le public, comme un cadeau. « La douleur ne tue pas ». La vie doit reprendre le dessus. Un très beau partage d’humanité.