Vendredi 15 novembre 2019, par Laure Primerano

Jawbreaker

En 1968, Philip K. Dick nous demandait si les androïdes rêvaient de moutons électriques. En 2019, avec Boccaperta ! Emmanuel Texeraud nous demande, un peu, si les robots croient en Dieu…

Joseph Desa, plus connu sous le nom de Saint-Joseph de Cupertino, vécut au 17ème siècle dans la région italienne des Pouilles. Fasciné par la figure de ce saint idiot, capable de lévitation et dont la tendance à se promener partout bouche ouverte avec un air de béatitude lui valut le surnom « boccaperta », Emmanuel Texeraud nous emmène à la découverte de son histoire. Une histoire qu’il fait ici rentrer en résonnance, à travers une narration complexe, avec celle de Chiara, intelligence artificielle surpuissante nichée au cœur de la Silicon Valley. Partant de ce rapprochement improbable qui est la base de sa narration, Boccaperta ! esquisse un univers trouble, se développant par secousses qui laissent bien souvent le spectateur confus. Car la logique semble constamment nous échapper dans ce spectacle qui révèle sans cesse de nouvelles facettes d’une réalité alambiquée, soulevant dans son sillage une multitude de questions dont beaucoup resteront sans réponses.

À l’image de sa narration, Boccaperta déploie une scénographie imposante et savamment réfléchie, remettant au goût du jour le mystère médiéval. De l’éclairage aux costumes, rien n’est laissé au hasard et tout semble suivre ce fluide mouvement évolutionnel qui nous amène du XVIIème siècle de Joseph Desa au probable XXIème siècle de Chiara. Éclairage rustique à la bougie, animations pixélisées référençant les jeux-vidéos, projections vidéo…Boccaperta ! enchaine les médiums narratifs sans avoir le temps de reprendre son souffle, donnant à l’ensemble un dynamisme aussi entrainant que déroutant.

Loin de Boccaperta !, toutefois, l‘idée d’assumer un quelconque militantisme politique. En menant son spectateur, presque par le bout du nez, d’interrogation en interrogation, le spectacle crée une tension à laquelle il ne répond qu’en demi-teinte, à travers des partis pris à demi-mots. Si ses révélations finales ont ce goût de trop peu, c’est sans doute pour mieux laisser le spectateur en seul juge du tableau sociétal à la fois futuriste et ancien qu’il expose.

À l’époque du transhumanisme et des nouvelles technologies, Boccaperta ! est un spectacle qui, par des chemins détournés et parfois tortueux, questionne les relations de pouvoir qui sous-tendent notre monde depuis des siècles. Un spectacle qui, comme un bon livre, mériterait sans doute d’être vu plusieurs fois pour en comprendre toutes les subtilités.