Hamlet
Il y a peu de metteurs en scène qui ne rêvent pas de se confronter un jour au chef-d’œuvre de Shakespeare. Personnellement, j’attendais avec patience d’avoir trouvé l’acteur idéal à mes yeux pour prêter son corps, sa voix, ses émotions, sa part d’ombre au personnage du Grand Will. Et puis soudain Itsik Elbaz s’imposa comme une évidence. Il y a quelque chose d’infiniment mystérieux chez lui et outre son talent immense et la fragilité qu’il dégage sur le plateau, il y a cette inquiétude, ce tourment qui semblent l’habiter et qu’il n’est donc plus nécessaire de « jouer ».
La dimension intuitive est essentielle dans notre métier, plus que la dramaturgie. A chaque fois que j’ai songé à Hamlet, je l’ai imaginé au cœur de la Russie du XIXème siècle, au cœur de cet empire où la question de « l’homme fort » capable d’administrer d’une main ferme un immense territoire, semble essentielle, encore aujourd’hui.
C’est cette piste là que j’ai lancée à Vincent Bresmal pour le décor et à Anne Guilleray pour les costumes. Ils ont rebondi avec enthousiasme. Après avoir monté Les Trois Mousquetaires et L’île au trésor, j’avais envie de m’éloigner un peu des grands spectacles d’aventures, tout en sachant que je voulais aussi offrir Hamlet à la jeune génération. Le spectacle sera accessible à partir de 9-10 ans.
En boutade, je dis que s’ils ont compris Le Roi Lion ils comprendront Hamlet. Il y a eu un certain nombre de versions de la pièce et les spécialistes ne sont pas d’accord entre eux pour savoir quelle était la version voulue par Shakespeare. Même le fameux monologue qui commence par la non moins fameuse réplique « To be or not to be » est parfois attribué à l’acteur/directeur de théâtre Richard Burbage qui, après la mort du poète, aurait amplifié le rôle. Peu importe d’ailleurs. Nous avons, avec ce texte, une matière dense destinée à un public qui ne restait pas en place, sortait, rentrait, mangeait… et parfois même écoutait la pièce.
Notre rapport au théâtre a beaucoup changé. Même si de temps en temps un téléphone sonne, une dame âgée et un peu sourde lance un « Qu’est-ce qu’il a dit ? » ou quelques élèves mal préparés ou peu respectueux chahutent un peu, globalement le public, plongé dans le noir, se tait et goûte chaque mot prononcé sur la scène. J’ai donc opté pour une version plus courte, allant à l’essentiel de l’intrigue et pour ce faire, il m’a bien fallu « tuer » quelques personnages. Le Théâtre Royal du Parc est l’endroit où des citoyens de tous âges qui, parfois, ne sont jamais allés au théâtre, découvrent de grands textes et j’espère de tout cœur que cette découverte leur ouvre un chemin qui les mènera vers d’autres théâtres, vers d’autres textes, d’autres pratiques. Thierry DEBROUX.
Distribution
Itsik ELBAZ,
Anouchka VINGTIER,
Jo DESEURE,
Serge DEMOULIN,
Fabian FINKELS,
Christian CRAHAY,
Adrien LETARTRE,
Camille PISTONE,
Valentin VANSTECHELMAN,
Baptiste DENUIT,
Jonas JANS,
Amandine JONGEN,
Coralie SCAUFLAIRE
Thierry DEBROUX (Mise en scène)
Catherine COUCHARD (Assistanat )
Grazielle FURTADO (Chorégraphie)
Jacques CAPPELLE (Chorégraphie des combats)
Vincent BRESMAL (Scénographie)
Anne GUILLERAY (Création et réalisation des costumes)
Laurent KAYE (Lumières)
BOUZOUK (Création des maquillages)
David LEMPEREUR (Décor sonore )
Florence JASSELETTE (Maquilleuse)
Romane ADAM, Cindy PLANCKART (Stagiaire en maquillage)
Pascal CHARPENTIER (Musique des chansons)
Geneviève PÉRIAT (Peinture du décor et sculptures)
Allan BEURMS (Vidéo)
Sarah DUVERT et Béa PENDESINI (Réalisation des costumes)
Sophie CARLIER (Vieillissement du spectre)
Jeudi 28 septembre 2017,
par
Jean Campion
Un "Hamlet" accessible et convaincant
Créée probablement en 1603, la tragédie d’ "Hamlet" a été mise à toutes les sauces. Le programme, publié par le théâtre du Parc, dresse un inventaire impressionnant de ces curieuses transformations. Le premier à incarner le jeune prince du Danemark était un vieil acteur bedonnant. Au 17e siècle, Thomas Betterton battit un record, en endossant le rôle de 22 à 72 ans. Et Sarah Bernhardt arracha des larmes au public français par son jeu emphatique. Opposition des morphologies mais aussi des adaptations et des conceptions de ce personnage complexe. Héros, tour à tour, romantique, classique, politique, il fait les délices des psychanalystes. En proposant, dans une langue moderne et vigoureuse, une version raccourcie de la tragédie de Shakespeare, Thierry Debroux n’a pas cherché à imposer une orientation. Sa mise en scène vise à exploiter "l’inquiétude et le tourment qui semblent habiter l’acteur idéal : Itsik Elbaz".
La cour de Russie fête le nouveau roi Claudius. Prostré sur le cercueil de son père, Hamlet ignore cette liesse. Il est révolté par la rapidité avec laquelle son oncle a épousé sa mère. A ce mariage, on a servi froides, les viandes cuites pour l’enterrement de son père ! Averti par son ami Horatio, Hamlet se rend à l’endroit où, depuis deux nuits, apparaît le spectre du roi défunt. Celui-ci, accusant Claudius de l’avoir empoisonné pour s’emparer de son trône et de sa femme, demande à son fils de le venger. Mission acceptée. Pour déjouer les soupçons de Claudius, Hamlet feint la folie. Il nargue, par ses provocations de sale gosse, Polonius, le conseiller du roi et désespère sa fille Ophélie : il prétendait l’aimer et la pousse maintenant à entrer au couvent. Cependant ce comportement incohérent traduit aussi son désarroi devant l’existence et reflète son manque de détermination.
Pour vérifier l’accusation du spectre, Hamlet invite sa mère et Claudius à assister à une pièce interprétée par des comédiens complices. Durant la représentation de son crime, le roi, troublé, quitte la salle. Plus de doute. Pourtant l’épée d’Hamlet ne s’abattra pas sur le félon : si Claudius était tué durant sa prière, il sauverait son âme. Un raffinement de haine qui justifie la démission d’Hamlet. Conscient qu’il n’est pas un homme d’action, il espère toujours fortifier sa résolution. Itsik Elbaz insuffle à ce prince instable une énergie farouche. Il semble dominer son entourage par son insolence, sa brutalité, son humour grinçant et son goût pour la simulation, mais on le sent fragile et tourmenté.
En négligeant les menaces qui pèsent sur le royaume et en réduisant la distribution, Thierry Debroux concentre notre attention sur les rapports entre Hamlet et ses proches. Dans son élégant uniforme, Claudius (Serge Demoulin) apparaît comme un roi serein, protecteur de son épouse et de son neveu. Mais c’est un monstre de duplicité, fomentant, avec un sang-froid terrifiant, complots et empoisonnements. Une scène pourtant le montre capable de repentir. Sous la coupe de son mari, qui l’appelle "ma souris", la reine Gertrude (Jo Deseure) est une mère aux abois. Dépassée par la folie de son fils. Ophélie (Anouchka Vingtier), tiraillée entre son obéissance à son père et son amour pour Hamlet, voudrait les sauver tous les deux. Un désir balayé par le destin. Polonius (Christian Crahay) est un chambellan zélé. Sourd aux espoirs de sa fille, il est totalement dévoué au roi et meurt accidentellement. En chien fidèle.
Le dispositif scénique est sobre et efficace. Une galerie, des marches, des panneaux coulissants permettent de passer souplement d’un lieu à un autre. Le rythme soutenu n’empêche pas chaque séquence de s’épanouir. Certaines, comme "Le meurtre de Gonzague", jouée par les saltimbanques, l’enterrement d’Ophélie ou le duel final se chargent de poésie. Il fallait s’y attendre : des projections épaississent le mystère des apparitions du spectre. D’autres effets lumineux nous sortent du cadre réaliste. Invités par Polonius à se lever pour applaudir le roi Claudius, les spectateurs jouent le jeu. Cette complicité répond à l’objectif visé par le metteur en scène : aider le public à apprivoiser une tragédie réputée difficile. Il y parvient grâce à une refonte intelligente de l’oeuvre de Shakespeare, à la maîtrise de son équipe technique et au talent d’excellents comédiens.
Jean Campion
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