A l’occasion de la publication de quelques romans et récits signés Gary et Ajar, Jacques De Decker nous rappelle dans cette "table de chevet" l’importance et l’actualité de cet immense romancier qui a obtenu à deux reprises le Prix Goncourt : sous son nom et sous un nom d’emprunt et d’imposture.
Romain Gary, de son vrai nom Roman Kacew est un écrivain que Jacques De Decker n’hésite pas à placer dans le voisinage immédiat des tout grands, Hugo et Stendhal pas moins !. Comme ces derniers, Gary a écrit une œuvre qui s’inscrit dans son temps, mais aussi qui le transcende et reste actuel : c’est à cela que l’on reconnaît les livres fondamentaux.
L’édition de ce QUARTO, une collection dont chaque volume a sa place dans la bibliothèque idéale, est établie et présentée par Mireille Sacotte, professeur émérite de l’université de la Sorbonne et spécialiste de l’œuvre de Romain Gary. Elle a dirigé deux colloques à son propos dont les actes ont été publiés respectivement sous les titres de "Romain Gary ou la pluralité des mondes" (PUF 2002) et "Romain Gary écrivain-diplomate" (ADPF, 2002). Pour chacun des romans ou récits du volume "Légendes du Je", elle situe en quelques pages essentielles le contexte de l’œuvre, de son écriture et de sa publication. Le lecteur détient ainsi des clés de compréhension, mais surtout de balises qui lui permettent, en resituant chaque livre dans l’époque où il a été écrit, d’en saisir toute l’actualité que ce soit dans la forme si particulière de Gary ou dans les thèmes abordés par cette conscience torturée.
Mireille Sacotte conclut sa présentation de l’ouvrage par cette formule étincelante qui éclaire l’entrelacement des livres et des vies de Gary :
"Et peut-être au fond la seule vie qui vaille est celle, merveilleuse et misérable, des enchanteurs qui traversent les pays en guerre en faisant rêver pauvres et riches, maîtres et serviteurs, cœurs purs et âmes cruelles, en se parant de leurs costumes de scène, comme Mina dans les histoires de son fils. Sinon il ne reste qu’à boire la réalité jusqu’à la lie, autant dire à mourir."
Et à Roman Kacew, il a fallu accumuler plusieurs vies dans une seule pour embrasser tous les rêves à réaliser et respecter les serments fait à sa mère, "la promesse de l’aube"...
Le volume qui s’ouvre avec une préface de Mireille Sacotte et un choix de photographies représentant Romain Gary à différentes époques de ses vies, contient les romans et récits suivants :
Education européenne
La promesse de l’aube
Chien Blanc
Les trésors de la mer rouge
Les enchanteurs
La vie devant soi
Pseudo
et le titre posthume dans lequel Romain Gary reconnaît être Emile Ajar :
Vie et mort d’Emile Ajar
Ce dernier texte commence par ces lignes qui disent avec tant de force la terrible angoisse et finalement la désillusion de l’écrivain :
"J’écris ces lignes à un moment où le monde, tel qu’il tourne en ce dernier quart de siècle, pose à un écrivain avec de plus en plus d’évidence, une question mortelle pour toutes les formes d’expression artistique : celle de la futilité. De ce que la littérature se crut et se voulut être pendant si longtemps - une contribution à l’épanouissement de l’homme et à son progrès- il ne reste même pas l’illusion lyrique."
N’y a-t-il pas dans ces lignes, écrites peu avant que Romain Gary se suicide d’une balle dans la tête, un questionnement sur le rôle de la littérature qui ne devrait cesser de nous assaillir, aujourd’hui comme hier ?
Un questionnement vital, sur lequel Jacques De Decker porte sa réflexion, acérée et inquiète. Ecoutez cette table de chevet : elle remplit à l’excellence sa fonction de tenir en éveil la curiosité, la nécessité et la conscience de lire, encore et toujours.
Edmond Morrel