D’illustres critiques ont commenté Morandi parmi lesquels Jean Clair, Francesco Arcangeli, Luigi Magnani, Marilena Pasquali... Fellini dans La Dolce Vita et Michelangelo Antonioni dans La Notte lui adressent un clin d’œil. Il a inspiré Sarah Hall dans Comment peindre un homme mort, Don DeLillo dans Falling Man et encore, le poète écossais Ivor Cutler, Pasolini, Paul Auster…
Jean-Michel Folon a exposé une série de photos en noir et blanc qu’il avait prises dans l’atelier du peintre. Barak Obama a choisi deux de ses toiles pour décorer la Maison Blanche.
A son tour, le Palais des Beaux-Arts présente jusqu’au 22 septembre, une rétrospective d’une centaine d’œuvres - huile sur toiles, dessins, gravures et aquarelles - dont un autoportrait, et lui rend hommage par la voix de six poètes venus des quatre coins du monde (Charles Juliet, Jan Lauwereyns, Nicole Malinconi, Maud Vanhauwaert, Charles Wright et Adam Zagajewski).
Couleur et forme, lumière et espace, les pertes dont nous tirons un étrange profit (extrait de Charles Wright)
Giorgio Morandi est né et a vécu toute sa vie à Bologne en compagnie de sa mère et de ses trois sœurs cadettes. À dix-sept ans, il s’inscrit à l’Académie des Beaux-Arts de sa ville où il enseigne la gravure à partir de 1930. Il cherchera sa voie pendant plus de dix ans. Intéressé par l’impressionnisme puis par le cubisme français, il va adhérer un temps au mouvement futuriste pour bifurquer vers la peinture dite métaphysique. Avec Carrà, De Chirico et Martini, il participe à la grande exposition organisée à Berlin en vue de diffuser le courant en Europe. Mais parler de son art et théoriser ne l’intéresse pas. Cet être énigmatique, taciturne, grand admirateur de la maîtrise des couleurs de Paul Cézanne, ne se résout pas à suivre un courant artistique. En solitaire, il s’appuie sur les concepts de la peinture métaphysique et l’enrichit d’une dimension poétique toute personnelle. Ce qui se traduit par l’abandon de l’allusion propre au mouvement métaphysique pour se concentrer sur l’agencement des ensembles et l’esthétique des volumes propres aux natures mortes.
De fragiles pots en demi-tons
attendent
ce qui n’arrive jamais (extrait de Jan Lauwereyns)
Morandi fut avant tout un maître renommé de la gravure. De 1928 à 1934, il est régulièrement invité aux Biennales vénitiennes dans la section du noir et blanc. Très vite, il transpose sur toiles cette virtuosité à jouer sur le clair-obscur et le raffinement des contrastes. Ses paysages alignent les rayures, son pinceau épouse les courbes des collines, par coups hachurés.
Conscient de l’intérêt du mouvement figuratif d’avant-garde, il adopte, en pleine période futuriste, un style qui évolue progressivement vers l’abstraction moderniste tout en conservant une forme classique dans la rigueur des compositions et la recherche de l’harmonie.
Pendant qu’il dormait profondément comme seul le peut
un créateur mortellement fatigué,
les objets riaient et la mutinerie était proche. (extrait de Adam Zagajewski)
Art de la répétition, rythme, mise en série, sobriété et lyrisme, palette minimaliste, il cultive avec un acharnement obsessionnel la saisie de la présence au monde et la vibration émotionnelle des objets tangibles.
Son approche intime de l’art, combinaison d’intellect et d’émotion, envoûte, appelle une attitude contemplative. La succession de ces « étalages » de coupelles, vases ou verres pointés vers le ciel que la lumière vient enlacer pour s’y couler en délicats dégradés, nous captive, imperceptiblement. Le renouvellement continu des accords de gris, de bruns, de pastels, nous tient prisonniers, happés par cette transformation picturale où présence et absence ouvrent la voie à la méditation, à un monde de silences et de miroirs.
Quand on ne peut endurer
la fuite du temps
force est de rechercher
la stabilité de l’intemporel
de l’immuable (extrait de Charles Juliet)
Morandi ne peut être relié à aucune école. Il n’a pas beaucoup voyagé ni cherché son inspiration bien loin, mais il représente les facettes du monde en explorant le détail, la simplicité et en les peignant sous tous les angles possibles.
Il ne voit pas, ne verra pas ce qui de chaque objet ainsi placé est perdu, le côté caché de l’objet, son silence. Alors il le peint, il le fait. (extrait de Nicole Malinconi)
Se dégage de l’œuvre de Morandi une impression de silence, de distance, de mélancolie aussi. Les quelques 1350 peintures à l’huile qu’il a produites, auront-elles apaisé ce besoin de capter l’origine des choses matérielles, leur immobilité intemporelle. Nous, spectateurs, sommes émerveillés par la grâce et l’essence humaine qu’irradient ces escadrons de récipients artistiquement agencés par la main de l’homme.
La bouteille est ouverte, la tête fermée
Verse dans le cou (bouteille claire tête foncée)
Verse dans le cou encore un peu de vie. (extrait de Maud Vanhauwaert)
Palmina Di Meo