Car de son rôle de chef d’orchestre, Stefan Blunier en avait touché un mot lors du « meet and greet » qui se tenait dans une « terrasse » attenante à la salle Henri Le Boeuf. Interrogée également, Alice Sara Ott affirme que d’avoir l’âge de Grieg quand il a composé son concerto (environ vingt quatre ans) ne change rien à sa façon de considérer l’œuvre. Elle ajoutera plus tard qu’elle n’a jamais joué à Bruxelles, qu’elle est très contente d’avoir le privilège de se produire aux Bozar, qu’elle n’a pas vu grand-chose de la ville, où elle a mangé dans un restaurant japonais qui, ma foi, n’était pas très très bon. Stefan Blunier répondra, lui, que le cor anglais dans Sibelius a un grand et magnifique rôle, qu’il est très content de l’ONB, que le chef d’orchestre est toujours utile, et qu’il existe malheureusement des œuvres qu’il n’aime pas diriger, mais que parfois, c’est comme manger des légumes, quand il faut, il faut.
Le concert s’ouvre sur le deuxième volet de la Suite de Lemminkäinen de Sibelius (1895) : « Le Cygne de Tuonela ». Un grand et sombre cygne noir dort au fond d’un fleuve et sera combattu par le vaillant héros Lemminkäinen. Cette partie est méditative, où, se détachant des accords sombres de l’orchestre, un beau et majestueux cor anglais fait résonner son chant. La pièce est brève, mais possède un je-ne-sais-quoi de poignant qui touche au sublime dans sa simplicité.
Arrive ensuite le Concerto pour piano, op. 16, d’Edvard Grieg. On est surpris de voir ce petit bout de femme frêle, toute jeune encore, serrée dans une longue robe rouge, et c’est non sans une certaine appréhension que l’on la voit se préparer à attaquer l’héroïque concerto. Néanmoins, c’est avec brio qu’elle vient à bout de l’athlétique cadence dans le premier mouvement. La cadence est toujours un moment privilégié, tant pour le soliste que pour le public. Harassante pour le premier, les seconds s’ébaudissent avec délectation de cette terrifiante démonstration de virtuosité gratuite, mais tellement jubilatoire. Elle interprétera le deuxième mouvement avec le pathos requis, tout en conservant une grâce touchante. L’orchestre se montrera vigoureux, presque impitoyable face à cette soliste bien seule dans un troisième mouvement effréné, d’où surgissent de temps à autres des rythmes de danses populaires. Alice Sara Ott relèvera cependant le défi avec tous les honneurs, acclamée par le public, qui décidément a adoré ça. Le bis, elle nous en a accordé un, c’est du Louis-Claude Daquin (contemporain de Rameau), un Coucou tout en finesse et en légèreté.
C’est dans un tout autre registre que nous retrouvons Tchaikovsky après l’entracte, avec sa 5e Symphonie (1885). Celle-ci s’ouvre tragique, en mineur, sur un thème désespéré, presque funèbre. L’orchestre aura soin de ne pas sombrer dans un pathos exagéré, car surviendra rapidement un autre thème, lui, dansant, plus enjoué. Les quatre mouvements exploiteront sous des formes diverses ces deux thèmes du début. Les nuages sont vite chassés, on ne nous laisse pas le temps de désespérer sur notre triste destin, car dès le troisième mouvement apparaît une charmante valse. Au final, les thèmes tragiques utilisés pour le début reviendront en force, mais joués comme une marche triomphale. Le tout terminant en feu d’artifice, vivace, avec un chef d’orchestre théâtral, mais toujours aux abois. D’aucuns accuseront le chef d’avoir fait claironner de façon tonitruante son orchestre, surtout dans le finale. Mais quand on est à la tête d’une formation comme l’ONB, la tentation n’est-elle pas grande de se montrer généreux en exploitant à fond les ressources à notre disposition ?
En tout cas, cela représente le résultat d’un pari tenu avec succès. Le public, parfois trop démonstratif, ou trop peu averti des traditions du grand concert classique, au point de déchaîner son enthousiasme par de malheureuses séances d’applaudissements entre les mouvements, gardera néanmoins un souvenir mémorable de cette incroyable soirée.