L’objectif de Fabienne Govaerts, fondatrice et directrice du théâtre de la Clarencière à Bruxelles et du Verbe fou à Avignon est clair : « Déconstruire une culture dominante fondamentalement raciste et engager le combat contre la haine, le mépris et toutes les discriminations. » C’est à cela que doit servir son théâtre et le théâtre. C’est l’œuvre de sa vie. Elle témoigne d’un anti-racisme conséquent. Elle professe que le racisme est une ré-pulsion que la culture se doit contenir à moins de sombrer dans la barbarie. Ainsi donc, ne cédant justement à aucune peur, elle a osé ! Nom d’un pétard ! Appliquant à la lettre un message biblique « Fear not », courageuse, généreuse et convaincue, elle a accueilli un pétard ! Sa démarche artistique nous touche. S’il y a bien un spectacle emblématique, humaniste et contestataire dans sa programmation, ce sera celui-là !
-Lettre aux escrocs de l'islamophobie qui font le jeu des racistes-
Taxé de racisme par une certaine mouvance antiraciste, avec les conséquences tragiques que l’on sait, Charlie Hebdo, c’est l’étendard insolent de la lutte conséquente contre le racisme. L’emblème moderne de la liberté de presse, la liberté d’expression, que ce soit par la parole, le dessin de presse ou la caricature. Le principe fédérateur est que « Oui, on peut rire de tout ! » ...Y compris de ce nouveau terme, l’islamophobie, où se trempent avec délices tous les médias, car il a généré une incomparable exploitation médiatique.
Il apparaît que le texte posthume de Charb est une oraison dédiée aux phobes de tout poil. « Nous serions islamophobes, disent nos diffamateurs. Ce qui, dans la nov-langue qui est la leur, signifie racisme. Où l’on voit combien la régression a gagné tant d’esprits ».
Mais qu’est-ce qu’un phobe ? La dernière perle de Charlie Hebdo n’est-elle pas « Ne cédons pas à la country-phobie ! » ? Et en Catalogne, bordel, on n’a plus le droit d’être hispanophobe ?
Le -phobe se définit étymologiquement comme celui qui éprouve de la peur ou de la crainte. Rien de grave : il y a les arachnophobes, les agoraphobes, les herpétophobes, les aquaphobes, les ornithophobes, les vélophobes, les aviophobes, les bibliophobes, héliophobes, zoophobes et autres claustrophobes. Tous éprouvent des troubles de peur excessive qui minent la vie de celui qui en souffre et celle de ses proches, mais enfin, rien de grave pour l’intégrité des autres humains. Le hic c’est que le -phobe peut muter par glissement de sens, et s’opposer de façon virulente au -phile pour engendrer de la haine. Et hop ! Voilà la porte ouverte à tous les francophobes, germanophobes, anglophobes, judéophobes, athéophobes, cathophobes, homophobes, islamophobes, où l’aversion induite par la peur, se transforme en franche hostilité, rancune, malveillance et parfois violence pure et simple.
Mais qui peut s’enorgueillir de surfer sur ces néologismes qui ne font que recouvrir du racisme pur et dur ? Du pain béni pour nourrir des débats médiatiques totalement stériles mais tellement rentables ! Dans l’islamophobie, l’hostilité envers l’islam s’applique dès lors à tous les musulmans ! Peur de l’inconnu ? Ou peur de ce que l’on croit savoir ? Paradoxalement, la phobie est une peur de ce qui est déjà connu et identifié comme menaçant. Le discours raciste typique s’exclame « je les connais ! … » se donnant le droit de pourfendre l’ennemi virtuel, le bouc émissaire. Alors, ADIEU, la cohésion sociale !
L’orateur de la lecture-spectacle courageusement invité par Fabienne Govaerts est le comédien et metteur en scène lillois Gérald Dumont. L’artiste activiste explique : « Depuis un peu plus d’un an, on la joue en milieu scolaire et dans les centres sociaux, mais depuis qu’on cherche à le produire dans des salles, on sent que c’est compliqué… » Il était la veille, le mercredi 4 octobre, au CCLJ.
D’un point de vue scénique, le comédien, Gérald Dumont, apparaît comme un tribun agréablement convaincu dans sa déclamation, totalement habité par le texte, mais il est parfois dur de ne pas tomber dans la caricature textuelle, quand on doit faire des coupures dans le texte originel, et de ne pas mettre ses auditeurs mal à l’aise par certains propos parfois à l’emporte-pièce ou par des généralisations hâtives ! ...Sport rhétorique que lui-même est censé combattre. N’est-ce pas le but de Charb de pourfendre les stéréotypes et les formules à la grosse louche ? En outre, une façon de sourire et de rire en coin à chaque paragraphe, peut à la longue irriter, tant le sujet est tout de même sérieux. Gérald Dumont s’aide de projections et de musique (Lénine Renaud) en hommage au disparu… mais tout va si vite ! Certes, elles font mouche mais parfois avec un tel goût d’amertume, que le rire ne fuse qu’à petites doses. Par contre, sur le fond, la connivence du public présent est acquise. Et le texte ressuscite la parole confisquée de Charb !
Marika Bret, DRH de Charlie Hebdo est présente à chaque spectacle et propose un débat après chaque représentation qu’elle introduit par une courte biographie de Stéphane Charb et par des confidences sur les heurs et malheurs de la production : Vive la censure !
Quod erat demonstrandum ?
Elle dénonce la censure sécuritaire. En effet ce spectacle tiré du texte posthume de Charb, a été reporté à Lille, alors qu’il devait se tenir dans des locaux utilisés par la Ligue des droits de l’homme (LDH) - c’est un comble ! - par crainte de débordements et refusé par deux salles du Festival off d’Avignon pour des raisons …artistiques. Pas bien sûr, au Verbe Fou, alter ego de la Clarencière. Gérald Dumont, à l’occasion de ce spectacle, a formulé le rêve de toucher des communautés chez nous, qui ont tendance à se réfugier dans le repli identitaire … comme Molenbeek ! Une mission qu’il partage avec d’autres artistes tels que SamTouzani ? Moussem ? APPEL est LANCE à nos divers lieux de culture et de cohésion sociale ! La Tricoterie ?
Dominique-Hélène Lemaire