Entrons donc par l’imaginaire...
...dans cette nouvelle saison 2013-14 qui s’annonce très orientale, avec des extraits de la Caravane du Caire. L’accueil des hautbois est particulièrement festif. Et tout de suite le spectateur entre dans le jeu de Christian Arming, jeune chef d’orchestre pétulant à l’extrême. Quand on dit s’identifier aux personnages d’un roman, cela semble une banalité et on imagine peu que l’on puisse s’identifier à un chef d’orchestre ! Mais c’est le cas pour ce concert. Christian Arming aurait-il fait un détour par l’Actors Studio, que l’on n’en serait nullement surpris car il tire avantage d’une identification physique, affective et psychologique totale au personnage, pardon, à la musique ! Folâtre, il caresse tour à tour la vaillance, l’humour et la légèreté. Ses tranches de musiques sont impétueuses, presque au bord du pastiche de la musique de cour, tous siècles confondus. Tambourins à l’appui, on accueille tantôt le pittoresque de danses villageoises tantôt la gravité et la solennité d’une procession envoyée par les percussions mêlées aux vents et aux cuivres secs. C’est le désert et les caravanes, n’oublions pas ! Le chef d’orchestre conduit la Caravane de l’arrondi des poignets, aux pointes des genoux. Un long crescendo orchestral très bien amplifié s’arrêtera brusquement. Juste encore quelques accords joyeux pour l’arrivée au point d’orgue.
Boris Belkin nous plonge dans un romantisme mordoré aux accents slaves. Son premier solo est repris avec une puissance dramatique exceptionnelle par l’orchestre (percussions, cors majestueux, hululement des bassons) dont ... on oublie le chef pendant de longues minutes, tant Boris mobilise l’attention. Le violon seul respire l’émotion et palpite de virtuosité. L’orchestre ondoie sous les rubatos. Détresse humaine, sanglots sont soudainement éteints par quelques coups de maillets de la douceur du duvet. Mais l’orchestre reprend. Le sentiment débouche sur la passion et on n’a toujours d’yeux que pour le violoniste. Ses notes aiguës : plus pures que le cristal ? Non ! Des jets de lumière. Aux longs murmures de l’orchestre succède le thème, à son apogée. Le sourire du violoniste flotte sur l’amplitude de l’Adagio incandescent. Le chef d’orchestre a quitté une conduite que l’on croyait sage. C’est le déchaînement. Il cueille au sol les arabesques et courbes musicales et le reste n’est que flamboiements.
Dans la Symphonie héroïque de Beethoven, la conduite de Chris Arming se fait féline et athlétique. Il y a des effets grandioses et des retenues délicates et frêles. Il mélange Vulcain à sa forge et la grâce du troubadour. Il dessine avec intelligence un réseau de dynamiques complexes. Des grésillements secs de violons sculptent le silence entre chaque envolée lyrique. Les cuivres séducteurs s’interposent entre les coups du Destin et les avalanches de cordes. Une mélodie presque tendre s’échappe de l’ensemble guerrier. La première violon est la passion personnifiée et le reste de l’orchestre est rutilant comme l’armure homérique d’un guerrier grec. Dire que ce n’était que le premier mouvement ! La vision lugubre de champs de bataille envahit le deuxième mouvement. Chris Arming par mimiques labiales, provoque tour à tour le fracas puis le fait taire. Les violons esquissent un tempo de valse, des larmes plein les archets. Les cymbales sonnent des avertissements mais les violons retrouvent leur motif encore plus adouci et immatériel. Les cors tiennent de longues notes comme si des vies étaient en train de s’échapper à regret. Christian Arming conduit devant et derrière lui, de face et de côté. Son expressivité est exceptionnelle, sa coiffure sage d’English schoolboy virevolte au vent musical. Le thème revient dix fois, en échos dansants, comme un fil d’or précieusement retrouvé. Des violons magiques fleurissent autour de ce fil ténu : celui de la vie, celui de la liberté ? Cela se métamorphosera en chant victorieux et ovations enthousiastes du public.