"Décidément je t’assassine" de Corinne Hoex aux Impressions Nouvelles
En exergue du nouveau roman de Corinne Hoex, dont les Impressions Nouvelles republient fort à propos le premier livre, "Le Grand Menu", une phrase de Beckett installe d’emblée le lecteur dans un climat d’absence, de désamour…
Dès les premières lignes, les deux protagonistes se retrouvent face à face, de part et d’autre d’une partie de cartes. On retrouve la scansion de la phrase de Beckett…mais aussi, tout de suite, ces quelques lignes, comme une métaphore de tout le roman au moment où la mère aligne les score : « deux colonnes parallèles, sans jamais se toucher, sans jamais s’écarter de leur trajectoire, luttent l’une contre l’autre jusqu’au bout de la feuille »… Avec l’efficacité sidérante de l’écriture elliptique dont Hoex est une orfèvre, le lecteur est saisi à la gorge et d’emblée placé au milieu de cet affrontement d’autant plus effroyable qu’il est muet sur l’essentiel.
Le style pointilliste de Hoex lui offre une palette infinie d’ observations saisies dans une phrase courte, un dialogue laconique, ou une interpellation.
Le roman se partage en deux mouvements : l’un accompagne la mère dans l’hôpital jusqu’à l’agonie et la mort ; le second conduit la fille à explorer la maison de la défunte et à reconstituer la mémoire d’un amour filial impossible.
A chaque instant de ce chemin vers sa mère, la fille est avide de trouver le moindre signe qui indiquerait que le coeur muet était malgré tout aimant.
Un très grand roman qui démontre, si besoin en était, combien l’écriture peut aller à l’essentiel de l’humain, jusqu’au plus intime, avec la force qui conduit le lecteur à une empathie totale avec les protagonistes de cette tragédie du silence.
Edmond Morrel
Au terme de cet entretien, Corinne Hoex lit des extraits de son roman.
Présentation de l’éditeur,"Les Impressions Nouvelles"
"Ce n’est pas assez que tu sois morte. Il faut vider. Fouiller les tiroirs. Inspecter les étagères. Chaque matin, je me rends dans ta maison. Je reste jusqu’à la nuit. Boîte après boîte, classeur après classeur, je décime le passé."
Une femme accompagne sa mère à l’hôpital et assiste à ses derniers jours, espérant en vain jusqu’au bout que quelque chose se dise, une parole d’amour. Cette attente déçue laisse la narratrice à la douleur de perdre ce qui n’a pas été. Restée seule, elle vide la maison de sa mère, explorant le passé, grappillant des traces, cherchant sa présence dans un vêtement, une photo, un poudrier, un jeton de casino, des gants noirs, un brin de muguet séché, de vieux patins à glace, ces choses qui demeurent quand la vie est partie, ces choses grâce auxquelles la narratrice, enfin, a accès à sa mère, et dont il est indispensable, néanmoins, qu’elle se débarrasse pour découvrir peu à peu un singulier sentiment de liberté. Le manque irréparable la conduira peut-être à une autre naissance, celle qu’elle-même s’accordera.
Un roman tout en émotion contenue. Une expérience intime, relatée avec pudeur. Un saisissant huis clos mère-fille. Des appels d’amour sans cesse déçus. Des réponses qui ne sont jamais les réponses espérées. Une mère indifférente, inaccessible, que la maladie puis la mort mettent enfin à portée de sa fille. Malgré la cruauté du propos, son cynisme quelquefois et sa lucidité, émane de ce récit une forme de tendresse. Car, paradoxalement, son ton est empreint d’un sentiment d’admiration pour le personnage radical et sans concessions de la mère. Cette mère qui se bat, avec ses moyens dérisoires – les mots croisés, la télévision –, jusqu’à la fin.