« Da solo » pose un regard sur un vécu - par le biais de la solitude - avec un processus qui aborde l’aspect chimérique des rêves.
LW : N’est-ce pas le processus de la vie lui-même. La vie nous embarque dans des chemins, on fait des choix qui nous emmènent à certains endroits, nous embarquent et nous font voyager. C’est vrai que c’est un spectacle sur la migration mais en même temps sur toutes les migrations intérieures, tous les rêves, les projections que l’on se fait. À un moment, on fait des choix dans la vie, on abandonne une partie de soi, on ne peut pas partir avec l’ensemble de l’arbre. Il y a là quelque chose de profondément simple, vulnérable. Il peut y avoir de la colère sur certains regrets, de l’amertume sur des choses qui n’ont pas été accomplies mais en même temps, c’est la vie !
Les choix sont assumés quasi inconsciemment...
LW : Et puis le problème qu’il a dans « Da solo », c’est que dans cette solitude, la mémoire et les souvenirs viennent perturber d’une certaine façon ce chemin de la vie qui continuerait.
Elle vient mettre des pierres, celles du petit poucet mais aussi des pierres dans le pied. Ce sont deux choses parallèles qui font que la vie est ce qu’elle est. Une des choses qui m’émeut vraiment, c’est que le souvenir vient nous mettre des balises et des barrières sur tout ce qu’on aurait pu faire ou être mais en même temps, on est là où on est et on ne peut pas tout avoir. La vie n’offre pas la possibilité de tout lui prendre.
C’est un texte de Nicole Malinconi...
LW : C’est un texte qui part d’une histoire vraie, de la relation avec son père. C’est en partie la vie de Nicole - même si elle est en partie romancée et bien que je ne le dirais pas car elle n’aimerait pas ce terme - c’est un récit de témoignage et en effet, elle a quelque part rencontré son père après que la mère soit partie. À partir de ce moment-là ; ils e sont sentis libérés. Une des questions importantes qui revient souvent au théâtre, dans l’art, dans la vie, c’est que les gens ne pensent pas que leur vie soit digne d’avoir une place sur un plateau alors que tout mon travail depuis longtemps, a toujours été de dire que l’histoire de l’humanité a été racontée par 1% de l’humanité et les 99 autres, c’est comme si on leur disait qu’ils n’ont pas compté ! De mettre sur le plateau une histoire toute simple c’est très important. Quand il jouait « Fabbrica » il y a à peu près une vingtaine d’années, Nicole était venue rencontrer Angelo en lui passant ce texte « Da solo » mais Angelo sentait bien que ce il n’était pas encore prêt à pouvoir l’assumer par rapport à son âge, à toutes les questions qui étaient posées, comme si les expériences de la vie devaient venir donner de l’épaisseur et une des forces d’Angelo dans ce spectacle, c’est d’avoir la juste épaisseur. Angelo en a donc fait l’adaptation et m’a proposé de l’accompagner sur ce projet.
Vous présentez en ce début de saison deux « seuls en scène ». « Ma pucelette, magistralement interprétée par Laura Fautré et « Da solo » qui va à Angelo comme un gant...
LW : Les deux projets sont assez différents y compris dans leur gestation. « Ma pucelette » est issu de toute l’expérience que j’avais menée dans le cadre de Mons 2015 qu’on avait appelé « Aube boraine » où la compagnie s’était installée pendant à peu près 2 ans dans le Borinage avec le but de redonner la parole à la population mais aussi à cette terre qui était en même temps une richesse de ce pays puisque les charbonnages ont été un élément très important et qui est aujourd’hui une des régions les plus sinistrées de notre pays et donc toute l’opération d’ « Aube boraine » a été d’envoyer une série de comédiens à la rencontre à la fois des borains mais aussi de ce qui fait la culture d’une région.
Cela nous a permis d’aborder des thèmes qui ne sont pas souvent abordés au théâtre. Cette opération a lancé les germes de projets comme « Porteur d’eau » de Denis Laujol sur le cyclisme ou « Cerebrum, le faiseur de réalité » d’Yvain Juillard mais on avait aussi relancé les processions qui avaient été abandonnées depuis des siècles avec le but était d’aborder la question d’un folklore toujours très présent - comme dans « Ma pucelette » - dans le village de Wasmes et qui part de ces mythes que l’on retrouve dans la culture populaire d’un enfant attaqué par un dragon et sauvé par un preux chevalier. D’année en année, c’est comme si on donnait les clefs de la ville à une petite fille de 4 ans ou 5 ans.
L’interprétation de Laura Fautré rend aussi le caractère de cette population. Laura est extraordinaire dans l’incarnation des gens de ce pays mais il y a aussi une réflexion derrière.
LW : Il y a plusieurs réflexions qui viennent se fracasser sur la question du folklore qui est la question du réel de la vie des gens aujourd’hui, de toutes les métaphores qu’il peut y avoir autour de cette question - d’où vient la culture populaire ? - et aussi le rapport de l’enfant au dragon. La manière dont Laura l’a développé en allant à la rencontre des gens, en écrivant à partir de là, faisait aussi écho - et c’est une des raisons pour laquelle je l’avais envoyée aux réminiscences qu’elle pouvait avoir de son enfance et du rapport à l’actualité de cette enfance - à son enfance. Quand elle avait 5 ou 6 ans, éclatait l’affaire Dutroux... Le conte de fée prenait une concrétude, il y avait un visage sur le dragon, sur le monstre.
Il y a quelque chose qui a profondément modifié les choses. Il est intéressant de voir comment des événements que l’on vit aujourd’hui, modifient profondément notre rapport au monde, nos habitudes... Il y a donc tout cet aspect-là et puis le rapport que l’on peut avoir aujourd’hui avec la sexualisation ou l’hyper sexualisation de l’enfance et de l’innocence, la question sous- jacente : Ne devient-on pas des éléments « dévorables » de plus en plus tôt ? Et en même temps, cela se confronte car ce qui est très intéressant sur un projet de ce type c’est qu’on l’a voyagé, on le porte en nous depuis 2014-2015 avec toute son évolution à elle, qui fait qu’elle porte le spectacle de façon souple et assumée.
C’est une comédienne merveilleuse avec une générosité et quelque chose du clown que j’adore. C’est un clown qui peut passer de l’âge de 4 ans à 80-85 ans... C’est son projet et elle le porte de façon remarquable. Et moi sur cette recréation aux Riches claires, je la laisse beaucoup faire ce qui est le cas aussi d’ailleurs avec Angelo. Ce qui m’intéresse, c’est de voir, et cela répond à la question du solo.
Le solo, c’est se rendre compte que le metteur en scène est là pour guider un peu ou donner les garde-fou mais l’essentiel est quand même dans le plaisir et dans la manière dont l’acteur va porter cette chose qui est sa chose. Pour moi c’est essentiel !
Propos recueillis par Palmina Di Meo