A peine a-t-il entamé la pastorale "La Clorise" que Montfleury, comédien grotesque, se voit menacé puis chassé de la scène par Cyrano, qui nous plonge dans la magie du théâtre. En menant le jeu avec une énergie indomptable. Une plate allusion à la longueur de son nez déclenche la célèbre tirade. Victoire de l’imagination poétique doublée d’un coup d’épée décisif. Quand Roxane lui avoue son amour pour... Christian de Neuvillette, Cyrano blêmit, mais accepte de protéger ce rival. Mieux ! Puisque celui-ci n’est qu’"un bon soldat timide ", il lui propose un pacte : "Je serai ton esprit, tu seras ma beauté." Le duo fonctionne efficacement dans la scène du balcon. Durant le siège d’Arras, Cyrano prend des risques insensés, pour transmettre à Roxane des lettres enflammées, signées Christian. Une correspondance ignorée par celui-ci, qui permet à l’amoureux complexé d’aimer par procuration. Metteur en scène de sa mort, il affronte la Camarde debout.
Le héros d’Edmond Rostand fascine par son courage, sa loyauté et son idéalisme. A son contact, les personnages principaux révèlent des qualités humaines insoupçonnées. Roxane ne se contente pas d’être séduisante. C’est une femme déterminée, qui mystifie le comte de Guiche et qui n’hésite pas à traverser les lignes ennemies, pour ravitailler les assiégés. Attirée par la beauté de Christian, cette précieuse (non ridicule !) tombe sous le charme de la poésie de Cyrano et reconnaîtra : "Je n’aimais qu’un seul être et je le perds deux fois." Incapable d’exprimer ses sentiments, Christian profite de l’imposture. Mais quand il découvre la vérité, il s’efface généreusement. De Guiche est un manipulateur odieux, qui abuse de son autorité pour se venger. Cependant, il serrerait volontiers la main de Cyrano, dont il apprécie la liberté de penser et d’agir.
En respectant fidèlement la partition de l’auteur, l’équipe impressionnante (60 personnes) dirigée par Michel Kacenelenbogen nous offre un spectacle fignolé, tonique, drôle et émouvant. Le dispositif scénique est ingénieux. Dommage pourtant qu’il enferme le public nombreux et disparate de l’hôtel de Bourgogne dans un espace trop exigu. La longue scène d’exposition est parfois confuse. Bien sûr, l’esprit cocardier de "Ce sont les cadets de Gascogne" prête plutôt à sourire et les élucubrations de Cyrano, tombé de la lune, semblent s’éterniser. Mais on se laisse emporter par la fougue et l’esprit d’un personnage exaltant et vulnérable.
Par son jeu subtil, Olivier Massart maîtrise remarquablement ce mélange d’énergie et de fragilité. Il donne de l’épaisseur à ce héros romantique. Nous admirons le punch, l’intransigeance et le panache d’un homme, qui dévoile pudiquement ses failles. Devant le succès permanent de ce classique, qui n’inspire pas de méfiance, des esprits chagrins ont critiqué le sentimentalisme et le clinquant des vers. Ils ont tort. Edmond Rostand a visé juste. En nous touchant au coeur, il glorifie l’honneur d’être un homme.
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